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CRO

dans un lieu. Les blés de France ne croissent point en Amérique, ni n’y peuvent venir. Il croît du tabac, des cannes de sucre en Languedoc, mais ils n’y mûrissent pas bien. Telle plante croît dans les marais, qui ne croît pas dans les montagnes. Il croît plusieurs gommes, de la mousse, & autres choses semblables sur les arbres.

Croître, se dit pareillement des choses qui s’enflent, qui s’augmentent, qui deviennent plus grandes. Crescere, augescere. Les eaux, les rivières croissent à la fin de l’hiver. Les marées croissent en pleine lune, & dans les équinoxes. Les jours croissent en été. La lune croît jusqu’à son plein. L’eau croît, en termes de Marine, c’est-à-dire, il y a flux, la marée monte.

Croître, se dit aussi des maladies qui empirent, qui augmentent. Ingravescere. Sa fièvre croît au lieu de diminuer. Ce cancer, cette louppe croissent toujours. La gangrène croît en peu de temps, si l’on n’y remédie.

Croître, s’applique aussi aux corps politiques, & signifie, multiplier, augmenter en nombre. Accrescere, crescere, &c. Le peuple croît tous les jours à Paris. Son revenu croît tous les jours. La rivière est crûe, a crû d’un pied. Son armée est crûe par la désertion des ennemis. Dieu, après avoir imprimé à l’homme le penchant qui le porte au mariage, lui ordonna encore de croître & de multiplier. S. Evr.

Croître, se dit figurément des choses morales & incorporelles. L’amour, la colère croissent par la présence des objets. Cette maison a bien crû en honneur & en dignité depuis sa faveur. Les discours, le commerce des gens du siècle font croître, malgré nous, une foule de desirs séculiers dans nos cœurs. Flech. Les réflexions doivent être placées dans un tel ordre, que les plus fortes & les plus sensibles soient les dernières, afin que le discours aille toujours en croissant. Claud.

Je vois mes honneurs croître, & tomber mon crédit. Racine.

Puisse durer, puisse croître,
L’ardeur de mon jeune Amant,
Comme feront sur ce hêtre,
Ces marques de mon tourment. Des-Houl.

Crescent illæ, crescetis amores.

Voyez d’autres exemples de ce sens figuré dans les vers qu’on a cités au milieu du premier article.

☞ Les choses matérielles croissent par la nourriture qu’elles prennent, par une addition intérieure & méchanique, qui fait l’essence la nourriture propre & réelle ; elles augmentera par la simple addition extérieure d’une nouvelle quantité de même matière.

☞ Les choses spirituelles croissent par une espèce de nourriture prise dans un sens figuré ; elles augmentent par l’addition des degrés jusqu’où elles sont portées.

☞ Mieux on cultive un terrein, plus les arbres y croissent, & plus les revenus augmentent.

☞ L’amour qui se forme dans l’enfance croît avec l’âge. Le vrai courage n’est jamais fanfaron ; il augmente à la vue d’un péril. L’ambition croît à mesure que les biens augmentent. Voyez au mot Augmenter, la différence délicate qui se trouve entre ces deux mots, dans les cas même où ils paroissent absolument synonymes, expliquée par M. l’Abbé Girard.

Croître, signifie aussi se répandre, en parlant des bruits. Le bruit de la peste, de la guerre, croît tous les jours. Increbrescere.

Croître, signifie aussi naître. Corneille a dit de Paris : il y croît des badauts autant & plus qu’ailleurs. Nasci.

Croître, se dit proverbialement en ces phrases : à chemin battu il ne croît point d’herbes. On dit aux jeunes gens qui croissent, qui sont devenus grands, Mauvaise herbe croît toujours. On dit, quand on veut louer une personne ou quelque chose, qu’elle ne fait que croître & embellir. On dit d’un homme de néant qui a fait une grande fortune en peu de temps, qu’il est crû comme un champignon, tout en une nuit.

CRÛ, ÛE. Part.

CROIX. s. f. Piece de charpente composée de deux morceaux de bois, dont l’une traverse & coupe l’autre ordinairement à angles droits. Crux. Elle servoit autrefois de supplice pour les malfaiteurs & les esclaves. Les Romains faisoient élever des croix, pour faire peur aux soldats, comme on fait ici des potences. Vers l’an 321. Constantin abolit par une loi le supplice de la croix usité chez les Romains. Sozom. Hist. Eccl. L. I. c 9.

Crux, une croix, un gibet, prend son origine du Celtique, croug & croas. Pezron. Si croug & croas ne viennent pas de crux, une croix.

Croix, signifie parmi les Chrétiens les mystères de la Rédemption du genre humain. Salutare reparationis humanæ Mysterium. La croix a été un scandale pour les Juifs, une folie dans l’opinion des Payens, dit S. Paul.

Croix, signifie aussi le bois sacré qui a servi d’instrument au Mystère de la Rédemption. Sacrum crucis Lignum. La croix a été en une grande vénération depuis que J. C. y a voulu être attaché pour nos péchés. On dit, la vraie croix, adorer la croix, l’étendard de la croix ; & l’on dit figurément, en ce sens, mettre ses injures, ses ressentimens au pied de la croix, pour dire les offrir à J. C. pendant à l’arbre de la croix.

Il y a des sentimens différens sur la manière dont se faisoit l’exécution du supplice de la croix ; si l’on clouoit avec quatre cloux, ou seulement avec trois ; si les pieds étoient immédiatement attachés à la croix, ou s’ils portoient sur un petit morceau de bois ou espèce de marche-pied, ou de soutien attaché à la croix, & auquel on les clouoit : si l’on plantoit la croix en terre avant que le patient y fût cloué, l’y attachant ensuite par le moyen d’un échafaut élevé à la hauteur de l’endroit où les pieds devoient être attachés, sur lequel on faisoit monter le patient : ou si on n’élevoit & on ne plantoit la croix qu’après qu’il y avoit été cloué, comme nos Peintres le supposent : enfin, si le Patient y étoit attaché tout nu, ou s’il étoit couvert, & toutes ces question se sont sur-tout par rapport à J. C. crucifié.

On demande si J. C. fut attaché à la croix avec trois clous seulement, ou avec quatre. Il semble que le sentiment de ceux qui disent qu’il ne fut attaché qu’avec trois clous, soit aujourd’hui le plus répandu. Au moins presque toutes les images du Crucifix, n’ont que trois clous. Ce sentiment est aussi très-ancien. S. Grégoire de Nazianze, ou Apollinaire, ou quel que soit l’auteur de la Tragédie de J. C. souffrant, appelle la croix τρισκλον ξύλον, un bois à trois clous. Et Nonnius, sur S. Jean C. XIX. v. 18. dit que les pieds du Sauveur furent attachés avec un seul clou αζυγι γυμφω. Daniel Mallonius tâche de confirmer ce sentiment dans ses notes sur Alphonsus Palæotus, C. 19 De Stigmatibus Christi. Il paroît cependant plus probable qu’il y eut quatre clous. C’est le sentiment de Grégoire de Tours, L. I. De Glor. Mort. c. 6. On voit par l’acte II. Scène I. du Mostellaria de Plaute que c’étoit la coutume des Romains. Nonnius lui-même, sur S. Jean C. XIX. v. 15. représente les Juifs pleins de fureur, criant à haute voix que J. C. fût mis en croix, & qu’il y fût attaché τετραγονι δεσμω, d’un quadruple lien. Enfin il y a beaucoup d’anciennes images du Crucifix qui ont quatre clous, comme on peut le voir dans le Roma subterranea de Paulus Arringhius. L. III. C. 42.