Aller au contenu

Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome I.djvu/216

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
303
304
AIGLE

l’aigle occupait une place considérable, soit qu’il fût peint ou sculpté comme oiseau de proie, soit surtout qu’il figurât dans les représentations symboliques chères aux Orientaux, dans les bas-reliefs où l’on voit des génies et des divinités à tête et à ailes d’aigle (fig. 56), des taureaux et des lions avec une tête humaine et des ailes d’aigle, etc. Ces images des arts plastiques des Babyloniens entrent alors dans les livres sacrés. Ezéchiel nous montre ses chérubins ayant des ailes d’aigle, i, 10 ; x, 14 ; voir Chérubins ; il nous décrit aussi, xvii, 3, 7, deux grands aigles qui figurent le roi de Babylone, Nabuchodonosor, et le roi d’Égypte. Daniel voit à son tour, vii, 4, un lion à ailes d’aigle (Vulgate : une lionne) qui représente également le roi de Babylone. La similitude entre un aigle, le roi des airs, et un roi de la terre est toute naturelle, et on la trouve dans toutes les langues, en particulier dans Jérémie, parlant de Nabuchodonosor, xlviii, 40 ; xux, 22 ; mais chez les prophètes qui ont vécu en Ch aidée, cet oiseau n’est plus seulement un terme de comparaison, il devient un emblème.

[[File: [Image à insérer] |300px]]
57. — Oiseaux de proie dévorant les morts sur le champ de bataille. Bas-relief assyrien.

Saint Jean, dans son Apocalypse, s’appropria, en les modifiant selon les besoins, les images d'Ézéchiel et de Daniel. Un des quatre animaux qu’il voit dans ses visions, et qui est devenu son symbole comme évangéliste, est semblable à l’aigle. Apoc. iv, 7. Quand le quatrième ange a sonné de la trompette, un aigle crie dans le ciel : « Malheur, malheur, malheur aux habitants de la terre ! » Apoc. viii, 13. Enfin des ailes d’aigle sont données à la femme qui enfante, afin qu’elle puisse s’envoler dans le désert, et échapper au danger qui la poursuit. Apoc. xii, 14.

En dehors de ces visions et de ces images, l’aigle est mentionné au sens propre dans le Lévitique, xi, 13, et dans le Deutéronome, xiv, 12, où il est énuméré parmi les animaux impurs, qu’il est défendu de manger. Le livre de Job renferme une belle description de l’aigle, xxxix, 27-30. Dieu demande à Job :

Est-ce à ta voix que l’aigle prend son vol,
Et qu’il construit son nid dans les hauteurs ?
Il habite dans les rochers, il y établit sa demeure,
Sur la pointe des rochers, dans des lieux inaccessibles.
De là il guette sa proie,
De loin son œil la découvre,
Ses petits sucent le sang ;
Partout où sont des cadavres, il y est.

Ces quelques vers relèvent tous les traits les plus caractéristiques de l’aigle : la puissance de son vol, la hauteur de son aire, au milieu des rochers les plus abruptes, la pénétration de son regard et son ardeur à saisir sa proie, dont il nourrit ses aiglons. Les aiglons ne sucent pas le sang, mais le poète se sert d’une expression métaphorique pour dire que l’aigle nourrit ses petits de la chair des animaux encore saignants qu’il a pris à la chasse. Le dernier vers : « Partout où sont des cadavres, il y est, » dépeint un spectacle qui n’est pas rare en Orient, et j’en ai été témoin au-dessus du lac de Tibériade, où une multitude d’oiseaux de proie dévorait un mulet qui venait de succomber à la fatigue. Aussi cette locution devint-elle une sorte de proverbe chez les Juifs ; Notre-Seigneur l’a cité comme tel dans l'Évangile. Matth., xxiv, 28 ; Luc, xvii, 37. Il fournit cependant matière à une difficulté. Beaucoup de commentateurs ont pensé que, dans ces passages, il ne s’agissait pas de l’aigle proprement dit, lequel, assure-t-on, ne se nourrit pas de cadavres ; mais du vautour, qui en fait sa pâture. Le mot hébreu néšer, qu’on lit dans Job, et le mot grec àerôç, qu’on lit dans les Évangiles, s’appliquent, ajoutent - ils, au vautour aussi bien qu'à l’aigle ; les Latins eux-mêmes rangeaient certains vautours parmi les aigles, Pline, H. N., x, 3 ; par conséquent, dès lors qu’on ne distinguait pas les espèces, rien n’empêchait qu’on attribuât au genre entier ce qui ne convient réellement qu'à une partie du genre. Cette explication est admissible ; toutefois les vautours ne sont pas les seuls oiseaux qui mangent des corps morts, les aigles s’en nourrissent aussi, surtout quand les cadavres ne sont pas encore corrompus ; ils ne chassent même que lorsqu’ils ne trouvent pas de proie déjà morte. Les bas-reliefs assyriens représentent, volant au-dessus des champs de bataille, des aigles qui se repaissent de la chair des soldats tués dans le combat (fig. 57). Voir W. Houghton, The Birds of the Assyrian monuments, dans les Transactions of the Society of Biblical Archæology, t. viii, 1885, plate II, vis-à-vis de la page 46. Cf. Layard, The Monuments of Nineveh, série i, pi. 14, 18, 20, 22, 26, 61 ; série ii, pl. 46. S’il est douteux qu’il soit question du vautour dans le proverbe cité par Notre-Seigneur, il est plus probable qu’il s’agit de cet oiseau de proie dans un passage de Michée, i, 16, où il est dit : « Deviens chauve comme le néšer. » Le prophète fait ici allusion à la coutume qu’avaient les Juifs de se raser la tête en signe de deuil. Sa comparaison est plus exacte, si l’on traduit néšer par vautour, au lieu de le rendre par aigle. Beaucoup de commentateurs ont pensé que l'écrivain sacré voulait parler de la mue de l’aigle, à l'époque du printemps ; mais cet oiseau ne devient pas chauve, tandis que le vautour (vultur fulvus) a la télé et le cou chauves, c’est-à-dire sans plumes. Voir Vautour.