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Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome I.djvu/261

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ʿALMAH
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maternité, dans une vierge-mère. Tertullien, Adversus Judæos, IX, t. ii, col. 618-619 ; S. Irénée, Adversus hæreses, III, xxi, 6, t. vii, col. 953 ; S. Jérôme, In h. loc., t. xxiv, col. 108 ; Théodoret, In Isaiam, vii, 14, t. lxxxi, col. 275. L’article placé devant ʿalmâh indique alors non seulement une vierge déterminée et présente à l’esprit du prophète, mais aussi une vierge fameuse et Unique. S. Chrysostome, In h. loc., t. lvi, col. 84.

Enfin cette ʿalmâh sera la mère du Messie. Son fils 4 Emmanuel, est roi du pays de Juda, Is., viii, 8 ; ix, 6 ; à cause de lui, son royaume sera délivré de la puissance d’Assur, viii, 10. Il sortira de la race presque éteinte de David, sera rempli de l’esprit de Dieu et gouvernera son peuple avec justice. Sous son sceptre régnera la paix la plus parfaite, et le mal disparaîtra de la sainte montagne de Sion. Les nations idolâtres se convertiront en masse et viendront partager avec les Juifs le bonheur de vivre sous un chef si pacifique, xi. De l’aveu des rationalistes eux-mêmes, tous les caractères de ce roi sont messianiques, Emmanuel est donc le Messie. Or le Messie n’a pas d’autre père que Jéhovah. Ps. cix, 3. Le prophète Michée, v, 2 et 3, qui le fait apparaître « dès le commencement, dès les jours de l'éternité », mentionne sa mère et ne dit rien de son père. Jérémie, xxxi, 22, annonce sa naissance miraculeuse d’une femme. L’ʿalmâh, mère d’Emmanuel, le donnera donc au monde sans le concours d’aucun homme ; elle restera vierge dans l’enfantement même.

IV. Application de l’oracle faite par les évangélistes. — Saint Matthieu, i, 18-23, a donné l’interprétation authentique de l’oracle d’Isaïe, en affirmant que la miraculeuse conception de Jésus dans le sein de Marie en était l’accomplissement. L'évangéliste ne constate pas l’accord fortuit de deux faits ; son but manifeste est de prouver aux Juifs, pour lesquels il écrit, que Marie est la mère du Messie. La prophétie ainsi réalisée annonçait donc une conception virginale ; au sentiment de l’apôtre, l’ʿalmâh devait être une vierge-mère. En vain, les commentateurs rationalistes veulent-ils interpréter la formule : « Tout cela fut fait afin que fut accompli ce qu’avait dit le Seigneur parle prophète, » comme si elle signifiait : Tout cela est arrivé de telle sorte que les paroles du prophète, quoique relatives à un sujet différent, peuvent s’appliquer au fait de la conception de Jésus. Adopter cette explication, « c’est contredire aussi bien le texte que l’esprit des écrivains du Nouveau Testament : le texte, car ni πληροῦσθαι, dans une telle connexion, ne peut signifier autre chose que : s’accomplir, ratum fleri, eventu comprobari ; ni ἴνα, ὅπως, autre chose que : à cet effet, eo consilio ut, attendu que l’adoption d’un ἴνα ἐκϐατικόν n’est venue que de difficultés dogmatiques ; l’esprit, car rien n’est plus contraire qu’une telle explication aux idées juives des écrivains évangélistes. » Strauss, Vie de Jésus, traduction de Littré, Paris, 1853, t. i, p. 196. Le récit de l’annonciation, Luc, i, 31, renferme une allusion évidente à l’oracle d’Isaïe. En annonçant à Marie le prodige qui allait s’opérer en elle, l’ange reproduit presque littéralement les paroles du prophète, selon la teneur de la version des Septante. La Vierge de Nazareth, familiarisée avec les prophéties de l’Ancien Testament, put comprendre qu’elle était l’ʿalmâh prédite par Isaïe.

V. La tradition juive. — L’application d’Isaïe, vii, 14, faite par saint Matthieu, nous fait connaître quelle était au premier siècle de l'ère chrétienne l’interprétation juive de ce passage. Elle n’eût pas convaincu les contemporains de l'évangéliste de la virginale maternité de Marie, s’ils n’eussent reconnu dans l’oracle l’annonce prophétique de la miraculeuse conception du Messie. Le Targum de Jonathan ben Uzziel traduit ʿalmâh par une expression équivalente, ʿullêmeṭa. La version syriaque de l’Ancien Testament, faite, au sentiment de quelques critiques, par des Juifs un siècle avant notre ère, et qui est en tout cas fort ancienne, donne à ce mot le sens de vierge, ʿalimṭo.

Une traduction antérieure et d’origine juive, celle des Septante, rend ici, dans un passage où il s’agit d’enfantement, ʿalmâh par παρθένος, la vierge au sens strict, et non par son synonyme νεᾶνις. Ses auteurs avaient donc l’idée de virginité dans l’esprit. Après Jésus-Christ, il est vrai, Aquila, Symmaque et Théodotion employèrent l’expression νεᾶνις, qui désigne une jeune fille sans égard à sa virginité. Mais il est permis de penser avec saint Justin, Dialogus cum Tryphone, t. vi, col. 644 et 673 ; saint Irénée, Adversus hæreses, iii, 21, t. vil, col. 950, et saint Jean Chrysostome, Hom. in Matth., v, 2, t. lvii, col. 56-57, qu’ils avaient intérêt à tempérer la force du mot ʿalmâh et à affaiblir la preuve que les chrétiens en tiraient contre le judaïsme. Les Juifs adoptent aujourd’hui l’interprétation de ces traducteurs plus récents ; mais « ils se mettent en contradiction avec leur propre tradition ». Drach, Harmonie entre l’Église et la Synagogue, t. II, p. 108.

VI. La tradition chrétienne. — Les Pères de l’Église ont unanimement et formellement reconnu dans l’ʿalmâh la Vierge, mère du Messie. Le père Tailhan, Analysis biblica de Kilber, Paris, 1856, 1. 1, p. 354, a dressé la liste de leurs témoignages. Ils ne sont pas les simples échos de l’interprétation de saint Matthieu, et dans la controverse avec les Juifs ils tirent leur principal argument de la traduction des Septante, qu’ils lisaient et commentaient. Un antique monument des catacombes romaines confirme la tradition écrite.


102. — Isaïe prophétisant la Vierge mère d’Emmanuel. Peinture du cimetière de Salnte-Priscille.

Dans une chambre sépulcrale du cimetière de Priscille, que M. de Rossi fait remonter aux confins de l'âge apostolique, Marie (fig. 102) est représentée assise, la tête à demi couverte d’un voile court et transparent, et portant dans ses bras l’enfant Jésus, qui se retourne vers elle. Debout à côté de la vierge-mère, un homme tient d’une main un volume roulé et montre de l’autre une étoile. Dans ce personnage jeune et austère, vêtu en philosophe, M. de Rossi reconnaît Isaïe. Paul Allard, Rome souterraine, 2e édit., Paris, 1877, p. 380-381 ; Martigny, Dictionnaire des antiquités chrétiennes, 2e édit., Paris, 1877, p. 683. Cette image, peinte au plus tard dans la première moitié du second siècle, est donc une illustration de l’oracle d’Isaïe.

Deux fois seulement dans le cours des siècles chrétiens, des écrivains catholiques ont adopté une explication opposée à celle de la tradition. Au m » siècle, André de Saint-Victor, dans son commentaire d’Isaïe, exposa l’opinion des rabbins sur l’ʿalmâh. Selon eux, la mère d’Emmanuel est la jeune femme du prophète ; car la naissance du Messie, que les contemporains d’Isaïe ne devaient point voir, ne pouvait être un signe de la délivrance prochaine de Jérusalem. André n’ose pas réfuter cette interprétation : Les rabbins répondraient facilement aux arguments qu’il