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leur opposerait, il craint leurs railleries et ne dit mot de la tradition chrétienne. Cette conduite pusillanime amena Richard de Saint-Victor à écrire la réfutation que ne voulait pas entreprendre son confrère. Dans un premier livre, De Emmanuele, il mit en pleine lumière l’interprétation catholique de cet oracle. Un disciple d’André, très attaché à l’enseignement de son maître, voulut le défendre. Richard écrivit contre lui un second livre sous le même titre et résolut toutes les difficultés. Pat. Lat., t. cxcvi, col. 21 et 601-666 ; Trochon, André de Saint-Victor, Paris, 1876 ; Essai sur l’histoire de la Bible dans la France chrétienne au moyen âge, Paris, 1878, p. 31-36. Au siècle dernier, un prêtre catholique, Isenbiehl, enseigna d’abord dans son cours d’exégèse au séminaire de Mayence, en 1773, puis dans un écrit, Neuer Versuch ùber die Weissagung vont Emmanuel, 1778, que la prophétie d’Emmanuel ne concerne le Messie ni au sens littéral ni même au sens spirituel. La citation de saint Matthieu n’est qu’une accommodation historique ou plutôt une simple allusion. Dans le texte d’Isaïe, 1' 'almâh est une jeune fille, restée inconnue, qui était présente à l’entretien du prophète et du roi. Elle était enceinte ou pouvait le devenir, et le temps nécessaire pour que son enfant atteignit l'âge de discrétion ne devait pas s'écouler avant la délivrance de Jérusalem. Le livre d’Isenbiehl, condamné par plusieurs Facultés de théologie et par la plupart des évêques d’Allemagne, fut réprouvé, le 20 septembre 1779, par Pie VI dans le bref Divina Christi voce comme contenant une doctrine et dés propositions respectivement fausses, téméraires, scandaleuses, pernicieuses, erronées, favorisant l’hérésie et hérétiques. Bullarium romanum PU VI, t. vi, n° ccxxx, Rome, 1843, p. 146. Isenbiehl se soumit et rétracta son erreur, dont la condamnation solennelle a certainement confirmé l’interprétation messianique et traditionnelle de l’oracle d’Isaïe. Picot, Mémoires pour servir à l’histoire ecclésiastique pendant iexviii » siècle, 3e édit., t. v, 1855, p. 95-97.

VII. Interprétations fausses. — Les exégètes juifs postérieurs à l'ère chrétienne et les exégètes rationalistes rejettent l’interprétation messianique et y substituent des explications différentes. Pour les uns, V 'almâh est une jeune fille idéale, et le prophète a fait l’hypothèse suivante : « Si une jeune fille concevait actuellement, elle pourrait, quand elle enfantera, nommer son fils Emmanuel ; car dans ce court intervalle de quelques mois, ceux qui oppriment la Judée auront perdu toute puissance de nuire. » Le langage catégorique d’Isaïe ne se prête pas à une telle hypothèse ; le prophète parle d’une personne réelle, il la voit et la montre, il annonce un fait qui se réalisera. Pour la même raison, 1' 'almâh n’est pas un symbole ; elle ne représente ni Jérusalem, la citadelle vierge, qui devait être à l’abri des rois confédérés, ni la maison royale de David, destinée à survivre et à se perpétuer en de nombreux rejetons. C’est une personne vivante qui assurément est pour le royaume de Juda et son roi un signe de protection et de perpétuité, mais qui dans l’avenir messianique deviendra la mère d’Emmanuel.

Elle n’est pas non plus la femme ou l’une des femmes du prophète, car Isaïe l’aurait nommée nebi'âh, « prophétesse, » et aurait parlé d’une conception ordinaire, comme il le fait plus loin, viii, 3 et 4. D’ailleurs la femme d’Isaïe, mère de Se'âr-Yâsùb, vii, 3, n’est plus une 'almâh, et seuls les besoins de la cause font supposer qu’Isaïe prit une autre épouse. Enfin Emmanuel n’est pas le fils du prophète ; la famille d’Isaïe n’a pas eu l’honneur de servir de souche au Messie. Plusieurs commentateurs catholiques cependant ont pensé que Y 'almâh était réellement l'épouse d’Isaïe, en reconnaissant en elle toutefois une figure de la Vierge, mère du Messie. Cette explication, exposée déjà du temps de saint Jérôme, se concilie difficilement avec l’interprétation de saint Matthieu, qui semble exclure l’idée de figure ; elle doit être rejetée pour les raisons qui précèdent. D’ailleurs l’analogie man querait entre le type et l’antitype. Comment une conception et une naissance tout ordinaires représenteraient-elles une conception et une naissance virginales ? — Valmâh n’est pas davantage la femme d’Achaz. Ce roi n’a pas eu d’autre fils qu'Ézéchias. Or Ézéchjas était peut-être âgé de neuf ans déjà, à l'époque de cette prophétie, saint Jérôme, In h. loc., t. xxiv, col. 109, et quoique roi et descendant de David, il n’a pas reproduit les autres caractères d’Emmanuel. S. Justin, Dialogus cum Tryphone, 43, t. vi, col. 567-570. — Serait-elle une princesse royale, fille d’Achaz ? Nâgelsbach a imaginé qu’une fille de ce prince, non encore mariée, avait perdu son honneur, et que le prophète dénonçait ce triste secret au roi et à sa cour. Cette explication singulière repose uniquement sur des hypothèses hasardées et ne s’harmonise pas avec l’ensemble de la prophétie.

VIII. Tardif accomplissement du signe donné par Dieu. — L’interprétation purement messianique de l’oracle soulève une sérieuse difficulté. Le signe proposé par Isaïe, à savoir, la miraculeuse conception de Valmâh et la naissance d’Emmanuel, devait être actuel ou se réaliser dans un avenir très rapproché, puisqu’il devait rassurer Achaz et sa cour contre l’invasion menaçante des deux rois confédérés de Syrie et d'Éphraïm. Or la conception et la naissance du Messie n’ont eu lieu que 750 ans plus tard. Leur prédiction ne pouvait donc rendre confiance à Juda troublé.

Diverses solutions ont été proposées. Pour Gaspard Sanchez, In Isaiam, h. I., et Baltus, La religion chrétienne prouvée par l’accomplissement des prophéties, Paris, 1728, 1. ii, p. 140, et 1. iv, p. 261 ; Défense des prophéties de la religion chrétienne, Paris, 1737, t. iii, ch. xvi, p. 118-120, la conception virginale d’Emmanuel, loin d'être un signe de la délivrance prochaine du royaume de Juda, trouvait dans cette délivrance sa propre confirmation. Ils distinguent deux prophéties ; la réalisation de la première fortifiait la foi de la seconde. La connexion du discours présente la naissance de l’enfant annoncé comme un signe de la prochaine protection de Dieu sur Juda, et la difficulté ne saurait être éludée.

La supposition de Rosenmùller et de Delitzsch qu’Isaïe, ayant reçu en même temps révélation de la naissance virginale du Messie et de la prochaine délivrance de Juda, n’a pas su distinguer les temps et a cru à tort les deux événements contemporains, n’est pas admissible, car elle introduit l’erreur dans la pensée du prophète, et elle est gratuite, carcertainementlsaïe n’attendait pas le Messie dans un avenir rapproché. Le livre d’Emmanuel dans son entier et toutes les autres prophéties messianiques du recueil manifestent clairement que pour le fils d’Amosla venue du Messie devait être postérieure à l’invasion assyrienne et même au retour de la captivité. La supposition d’une première réalisation de la prophétie sous le règne d’Achaz dans l’enfantement miraculeux d’une vierge, qui fût pour les contemporains une garantie immédiateetinfailliblede la protection divine, n’est pas justifiée par l’histoire. L’hypothèse du double sens littéral, adoptée par Schegg, Der Prophet Tsaias iibersetzt und erklârt, Munich, 1850, t. i, p. 87 et 88, ne paraît pas plus admissible. L’oracle signifierait que dans le temps nécessaire à une conception et à un enfantement ordinaires, c’est-à-dire dans l’espace d’une année, la tranquillité reviendrait pour Juda et prédirait en même temps la naissance mira, culeuse du Messie. Mais en quoi consisterait le signe annoncé? Consisterait-il dans la prédiction de la naissance d’un enfant du sexe masculin, ou dans le nom symbolique donne à l’avance comme gage de salut, ou dans la merveilleuse destinée d’Emmanuel ? Le prétendre serait négliger l’essentiel de la prophétie. De plus, comment est-il possible qu’un seul et même texte signifie à la fois une conception et une naissance ordinaires et la conception et la naissance virginales du Messie ?

Il est plus simple et plus rationnel de dire que si la