Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome I.djvu/46

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
xlvi
PRÉFACE
III

LA CRITIQUE MODERNE

Nous avons laissé les premiers protestants en possession de la Bible. C’était à leurs yeux le palladium, l’arche sainte, la parole de Dieu sans mélange, sans impur alliage. On dormait en paix et dans une parfaite sécurité. La question des deutérocanoniques amena bien quelques nuages dans le ciel bleu, mais on n’en était pas à une inconséquence près. Les hommes qui savaient distinguer les livres inspirés aussi aisément que l’on discerne le blanc du noir, l’aigre du doux, la lumière des ténèbres, qui disaient que l’Écriture est évidente par elle-même et se manifeste d’une manière irrécusable, dirent qu’il fallait s’en tenir à l’autorité de la Synagogue, au canon juif. Que devenait le critérium de Calvin et celui de Luther ? Plus on se séparait de la tradition, plus on sentait le besoin de n’avoir pas une bible frelatée, le besoin d’avoir un livre sorti directement de la pensée de Dieu, clair, complet, intelligible pour tous ; car autrement comment répondre aux syllogismes serrés des théologiens papistes, dont on avait tant d’horreur ? On se croyait invincible, à l’abri de toute attaque, quand un premier coup de tonnerre gronda dans le ciel serein des protestants. Un des leurs, Louis Cappel, fît paraître sa Critica sacra, qui mit en révolution le monde hétérodoxe, et un peu aussi le monde catholique. La doctrine de Cappel, bien inoffensive pourtant, et dépassée depuis par des écrivains orthodoxes, consistait à dire que le texte hébreu des Massorètes renferme des fautes évidentes. Buxtorf essaya, sans y réussir, de réfuter la Critica sacra ; son insuccès donna encore plus d’importance à l’essai de Cappel. Les passions religieuses, si vives alors, étaient violemment surexcitées ; on accusait l’écrivain d’être un apostat, un traître vendu aux Jésuites et d’accord avec le P. Morin pour détruire, de concert avec les papistes, la sainte et immuable parole de Dieu. L’ouvrage de Cappel était incomplet et imparfait, comme sont tous les premiers essais sur des questions nouvelles ; ce n’en fut pas moins la petite pierre détachée de la montagne qui brisa l’idole aux pieds d’argile.

Il était impossible que la théorie du libre examen n’aboutît pas un jour ou l’autre au rationalisme absolu. On n’en devina pas d’abord toutes les conséquences ; car, en dépit de l’erreur, la foi pénétrait toutes les âmes. Catholiques et protestants avaient sucé le même lait évangélique, partageaient à peu près les mêmes croyances, et si l’on se séparait, c’était, disait— on, pour se nourrir mieux de la parole divine. Néanmoins les esprits attentifs pouvaient sans peine découvrir les premières traces du rationalisme chez Grotius, plus encore dans les lettres du Théologien de Hollande (Le Clerc), et surtout chez les sociniens.

Dans l’Église catholique on sut se garder des excès, tout en donnant à la raison une plus large place. Qu’avait-on à craindre ? Si des théologiens de marque, comme Estius, croyaient à l’inspiration verbale, les Jésuites et nombre de docteurs refusèrent de souscrire aux conclusions trop rigoureuses de l’université de Louvain. On sait du