chaque autel ; puis, laissant auprès des victimes Balac et les princes de Moab, il s’en alla à l’écart, pour recevoir les ordres de Dieu. Num., xxiii, 1-3. On s’est demandé à qui était offert ce sacrifice ; la réponse n’est pas douteuse en ce qui regarde Balac ; il n’entendait pas évidemment sacrifier à Jéhovah, le Dieu de ses ennemis ; mais à Baal, probablement le même que Chamos. Num., xxt, 29. Quant à Balaam, il semble dire à Jéhovah que c’est à lui que les victimes ont été immolées, Num., xxii, 4, et cela paraît bien plausible après la leçon qu’il avait reçue sur le chemin du pays de Moab. Sa conscience de païen lui permettait du reste d’honorer à la fois deux dieux différents, ou bien peut-être son désir de plaire à Balac lui suggéra-til l’idée d’un sacrifice qui serait offert à Baal par ce prince, tandis que lui, Balaam, l’offrirait en son cœur au Dieu d’Israël, dont il était, bon gré mal gré, le serviteur et l’organe dans cette circonstance. Il voulait d’ailleurs essayer, ajoute Théodoret, Quœst. xlii in Num., t. lxxx, col. 391, d’amener Jéhovah à changer de dessein, comme s’il avait affaire à ses fausses divinités. Jéhovah avait bien révoqué la défense qu’il lui avait faite de suivre les envoyés de Balac, Num., xxii, 12, 20 ; pourquoi ne révoquerait-il pas maintenant la défense de maudire Israël ? C’est peut-être ce dont Balaam veut s’assurer en allant consulter le Seigneur au moyen « des présages ». Num., xxiii, 3, 15 ; xxiv, 1. Cette pratique superstitieuse de « chercher des présages », Num., xxiv, 1, a fait penser à beaucoup d’interprètes que Balaam allait consulter le démon, et que ce n’est pas lui, mais Moïse, qui parle ici de Jéhovah. Mais d’autres croient que c’est bien au vrai Dieu qu’il allait s’adresser, quoiqu’il le fit à la manière des devins ; car il savait qu’il ne devait parler qu’an nom et d’après les instructions du Dieu d’Israël. Num., xxii, 20, 35, 38 ; xxiii, 12, 26. Ce qui est hors de discussion, c’est que la réponse attendue fut dictée et imposée par Jéhovah.
De retour auprès de Balac, Balaam la lui transmit dans la forme solennelle qui convenait à un oracle. Il ne pouvait pas, disait-il, maudire celui que Dieu n’avait point maudit. Vainement on l’avait dans ce but fait monter sur les hauteurs ; il ne s’y tiendra que pour admirer ce peuple unique entre tous les peuples ; nation choisie que la bénédiction divine fait innombrable comme la poussière. Cf. Gen, xiil, 16. « Puissé-je, ajoute Balaam, mourir de la mort de ces justes ! puisse la fin de ma vie ressembler à la leur ! » Num., xxiii, 10. Ce souhait du fils de Béor se rapporte-t-il à la vie future, comme le Veulent quelques-uns 1 ? À en juger par l’ensemble du Pentateuque et par l’économie de l’Ancien Testament, on peut croire que Balaam exprime ici le désir d’une fin paisible, couronnant une vie longue et prospère. Cf. Gen., xxv, 8. Ce désir devait être cruellement frustré, Num., xxxi, 8, parce que Balaam, dit saint Bernard, Serin, xxi in Cantic, 2, t. clxxxiii, col. 873, « souhaitait la fin des justes, mais il n’en voulait pas les commencements, » c’est-à-dire la vie vertueuse qui conduit à cette fin. Pour le moment cependant il était fidèle à la mission que Dieu lui avait donnée, et il déclara à Balac qu’il ne pouvait y manquer, lorsque le roi s’indigna de ce que, appelé pour maudire, il bénissait.
2° Deuxième oracle. — Pénétré, comme on l’était communément chez les païens, de l’importance du site en fait de prestige, Balac pensa qu’un changement de lieu amènerait un changement dans les réponses de la divinité. Il conduisit donc Balaam sur une hauteur des monts Abarim, le mont Phasga, et le fit monter au sommet, en un endroit d’où il ne put voir qu’une partie du camp d’Israël, ou bien, au contraire, d’où il pût voir toute l’armée ennemie : deux sens opposés du ꝟ. 13, dont chacun a ses partisans parmi les exégètes. « Mais Dieu n’est pas, comme l’homme, sujet à changer ses desseins, » Num., xxm, 19, dit Balaam en revenant de consulter le Seigneur, après avoir offert un sacrifice semblable au premier. Le Dieu qui a fait sortir Israël de l’Egypte est toujours avec lui. Il n’y a point d’enchantement ni de charme contre ce
j peuple, ou, selon une autre interprétation à laquelle on peut ramener ce que dit Théodoret, Qusest. xliii in Num., t. lxxx, col. 394, il n’a pas besoin de cet*rt, cf. Deut., xviii, 10-22 ; il saura en son temps (par ses prophètes) ce que Dieu doit accomplir, disent les Septante, ce Dieu dont la protection le rend invincible. Num., xxiii, 21-24.
3° Troisième oracle. — Ce second échec ne découragea pas Balac ; il voulut faire une troisième tentative. Il fit donc descendre Balaam du Phasga et le mena à l’ouest, plus près du camp d’Israël, sur le mont Phogor, qui regarde le désert, Yesimôn, Num., xxi, 20 ; xxiii, 28, c’est-à-dire unerégion désolée, située au nord-est de la mer Morte. Cette répétition des sacrifices pour obtenir une réponse favorable est encore un trait commun au paganisme oriental et à celui de la Grèce et de Rome. Le jour où il fut tué, Jules César avait offert successivement cent animaux sans arriver au litamen désiré (Florus, Hist. rom, , iv, 2) ; Paul-Émile ne. l’obtint qu’au vingtième sacrifice. Sept autels furent dressés sur le Phogor et reçurent les victimes ; mais cette fois Balaam n’alla plus « chercher des présages » ; ses deux insuccès précédents lui avaient assez prouvé que Jéhovah ne cesserait pas de vouloir qu’il bénît Israël. Num., xxm, 27-xxiv, 1. Saisi de l’esprit de Dieu, il bénit doncpour la troisième fois son peuple, mais d’une manière plus solennelle et dans le langage le plus magnifique : « Qu’ils sont beaux tes pavillons, ô Jacob ! qu’elles sont belles tes tentes, ô Israël ! » Num., xxiv, 5. Balaam décrit ensuite la prospérité d’Israël, sa puissance, ses victoires, les bénédictions qu’il a héritées des patriarches ses pères ; « son roi sera plus grand qu’Agag, et son royaume sera exalté. » Num., xxiv, 7, selon l’hébreu.
Quelques interprètes ont vu dans les deux parties du ꝟ. 7 une prophétie messianique, et les Septante semblent leur donner raison ; au lieu de traduire la première partie comme la Vulgate : « L’eau coulera de son seau ( hébreu : de ses deux seaux), et sa postérité se répandra comme les eaux abondantes, » ils lisent : « Un homme sortira de sa race, et il commandera à de nombreuses nations. » Ce sens est conforme à celui du chaldéen et du syriaque. Les paroles de la seconde partie : « Son roi sera rejeté à cause d’Agag, et son royaume lui sera enlevé, » pourraient s’appliquer à Saül ; mais le sens n’est pas le même dans l’hébreu actuel, qui porte : « Son roi sera plus grand qu’Agag, et son royaume sera exalté. » Ce passage assez obscur, diversement lu et interprété, a été entendu du Messie par le chaldéen : « Leur roi… sera plus fort que Saùl…, et le royaume du roi Messie grandira. » On peut dire du moins que le Messie et son royaume sont indirectement désignés ici dans la prophétie de la prospérité du royaume d’Israël, qui figurait et préparait le royaume spirituel du Christ. Agag est, d’après plusieurs interprètes, le titre des rois d’Amalec. Voir col. 259.
Ce troisième oracle, qui renchérissait sur les deux premiers, mit le comble au mécontentement de Balac. Car non seulement Balaam bénissait de plus en plus ses ennemis, mais il venait encore d’appeler sur Moab les malédictions célestes par ces dernières paroles de son discours : « Maudit sera, [ô Israël, ] celui qui te maudira ! » Le roi ordonna donc à Balaam de s’en retourner dans son pays, non sans lui avoir fait remarquer qu’en écoutant Jéhovah il avait perdu la magnifique récompense qui lui était destinée ; mais Balaam rappela à Balac qu’il ne pouvait parler que conforménient aux ordres du Seigneur, comme il l’avait tout d’abord déclaré à ses envoyés. « Cependant, ajouta- 1- ii, je donnerai, en retournant vers mon peuple, un conseil concernant ce que votre peuple fera à celui-ci à la fin. » Num., xxiv, 14. L’hébreu porte : « Je vous dounerai avis de ce que ce peuple fera contre le vôtre dans les derniers temps, » ce qui ne permettrait pas de voir déjà dans ce verset l’intention de Balaam de donner un conseil qui pût être nuisible aux Israélites ; ces parolea seraient plutôt une transition au dernier oracle. Cf. Num.^ xxiv, 17.