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Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome I.djvu/775

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BALAAM

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4° Quatrième oracle. — Balaam reprit aussitôt son dis cours sans aucun préliminaire. Ce dernier oracle est le plus beau de tous ; il a une portée bien plus haute et plus étendue que les précédents. On dirait que le souffle prophétique attendait ce moment, où Balaam, libre de toute préoccupation du côté de Balac, se livrerait sans réserve à l’inspiration divine, pour le soulever et l’emporter dans une région nouvelle. Quatre visions successives passent sous ses yeux, et divisent ainsi cet oracle en quatre sections, comprises dans les fꝟ. 17-19, 20, 21-22, 23-24, du chapitre xxiv, et précédées d’un court préambule, fꝟ. 15-16, dans lequel Balaam rappelle sa mission en un langage assez obscur. Cf. fꝟ. 3-4.

1. « Je le verrai (hébreu : je le vois), mais pas maintenant ; je le contemplerai (hébreu : je le contemple), mais pas de près. Une étoile sortira de Jacob, et un sceptre s’élèvera du milieu d’Israël ; et il frappera les chefs (hébreu : les deux côtés) de MOab, et il dévastera tous les enfants de Seth (set, c’est-à-dire « confusion, tumulte » ). Et l’Idumée sera en sa possession, et l’héritage de Séir passera à ses ennemis ; mais Israël agira vaillamment (prévaudra en richesse et en force, d’après les Targums). De T acob viendra le dominateur ( appelérplus haut « étoile » et « sceptre » ) ; il perdra les restes de la ville. » Num., xxiv, 17-19.

2. Balaam, après avoir annoncé le Dominateur à venir, se tourna vers le pays des Amalécites, les première des Gentils qui avaient attaqué Israël, Exod., xvii, 8, et il prophétisa leur ruine, qui arriva sous Saûl. I Reg., xv, 2-33 Ils furent presque exterminés sous ce prince, et si plus tard ils reparaissent quelquefois encore, c’est sous forme de tribus isolées ou de bandes de pillards ; mais jamais plus comme constitués en corps de nation. I Reg., xxvii, 8 ; xxx, 1.

3. Balaam porte ensuite les yeux du côté des Cinéens et leur prédit qu’ils seront emmenés en captivité par les Assyriens. Quels étaient ces Cinéens ? Il est impossible de rien préciser, faute de données suffisantes, sur les peuples qui portent ce nom dans la Bible, voir Cinéens ; mais on peut du moins penser qu’ils étaient de même race que ceux dont Balaam voyait en ce moment le « nid » {qên, allusion à Qêni, « Cinéen » ). Le nom de la ville d’Accaïn (hébreu : Haqqaïn), Jos., xv, 57, au sud-est d’Hébron, cf Jud., i, 16, identifiée par les explorateurs anglais de VOrdnance Survey avec le village moderne de Youkin ou Yakin, rappelle le nom des Cinéens, et, du haut du mont Phogor, Balaam voyait très bien le rocher sur lequel était construite cette ville. Voir Accaïn, col. 105. La prophétie fut probablement accomplie contre les Cinéenstle la Galilée par Théglathphalasar, IV Reg., xv, 29, et contre ceux de la Judée par Nabuchodonosor ; car le mot « Assyriens » doit se prendre dans un sens large, comme on le voit par I Esdr., vi, 22, et ici même, ꝟ. 21.

4. En effet, étendant cette fois le regard de son esprit bien au delà de l’horizon visible dans lequel il s’était renfermé jusque-là, Balaam annonce, dans le ꝟ. 24, la ruine des Assyriens par des conquérants venus de l’Italie, c’est-à-dire de l’Occident (hébreu : Kittirn). Or les Grecs et les Romains n’ont pas détruit la puissance assyrienne, mais les empires qui s’étaient élevés sur le territoire où elle dominait autrefois. Ces nouveaux conquérants devaient aussi, d’après le voyant, ruiner les Hébreux. Par ee mot, il faut entendre les peuples d’au delà de l’Euphrate, d’après l’étymologie. Keil est d’avis, avec Hofmann, que ces deux noms, Assuret Héber, s’appliquent ici à l’ensemble des enfants de Sem : ceux des régions orientales (y compris les Élamites), représentés par Assur ; ceux des contrées occidentales, désignés sous la dénomination d’Héber. Keil, The Pentateuch (traduction anglaise), t. iii, p. 198-199. À leur tour ces derniers vainqueurs périront, « et pour toujours, » ajoule l’hébreu. C’est par cette prédiction que se termine toute la prophétie de Balaam.

VI. DU CARACTÈRE MESSIANIQUE DU QUATRIÈME ORACLE.

— Si l’on veut bien comprendre ce quatrième oracle, qui est là partie de beaucoup la plus importante de la prophétie et en constitue le point culminant, il faut ne pas perdre de vue les dernières paroles de Balaam à Balac, ꝟ. 14, par lesquelles il lui avait promis de lui découvrir ce qu’Israël ferait à son peuple « dans les dernière jours » (hébreu), expression qui dans le langage de la Bible se rapporte d’ordinaire au règne du Messie, déjà réalisé ou préparé par les événements de l’histoire d’Israël. Gen., xlix, 1 ; Is., ii, 2 ; Jer., xxx, 24 ; Ezech., xxxviii, 8, 16 ; Hebr., r, 2 (grec). Aussitôt après avoir prononcé ces paroles, Balaam rappelle, ꝟ. 15-16, d’une manière plus solennelle encore que précédemment, ꝟ. 3-4, l’esprit prophétique qui le remplit et la sagesse divine qui le fait parler. Alors son regard, plongeant dans l’avenir le plus lointain, y découvre une étoile qui sort de Jacob, cf. Apoc, xxii, 16, un sceptre qui s’élève d’Israël, un Dominateur dont l’origine céleste est symbolisée par l’étoile, comme le sceptre indique sa dignité royale et sa puissance. Cf. Gen., xlix, 10. Ce Dominateur est le terme extrême vers lequel toutes les parties de l’oracle convergent ; et ses victoires successives ne sont que la préparation graduelle de son triomphe final et de son règne éternel. Du sommet du Phogor, Balaam voit tour à tour tomber sous les coups du Dominateur tous ses ennemis, et le cercle de sa vision s’élargit à mesure, jusqu’à embrasser les plus grands empires du monde, s’écroulant les uns sur les autres pour faire place enfin à l’empire de celui que le voyant appelle l’Étoile de Jacob. De ce point de vue, la prophétie de Balaam apparaît dans une grandiose unité, et son accomplissement total est manifeste, tandis qu’il se montre imparfait ou difficile à reconnaître, si l’on se renferme dans l’histoire nationale des peuples, mentionnés. Si l’on veut, par exemple, avec certains interprètes, voir David dans le dominateur du ꝟ. 19, on ne peut lui attribuer toutes les victoires prophétisées. Car c’est à Saül et non à David qu’est due principalement la ruine des Amalécites ; les Moabites eux-mêmes, vaincus et soumis par David, II Reg., viii, 2, secouèrent plus tard le joug d’Israël, IV Reg., i, 1 ; iii, 4-5, et purent encore lui nuire, IV Reg, , xiii, 20-21, etc. ; et, quant aux Iduméens, l’accomplissement de la prophétie, commencé par David, II Reg., viii, 14 ; III Reg., xi, , 15-16, ne fut achevé qu’un peu avant l’avènement du vrai Dominateur, par Jean Hyrcan, qui soumit définitivement les Iduméens et leur imposa la religion mosaïque. Il ne peut donc être question de David, dans la prophétie de Balaam, que pour une partie des événements prédits, et sans doute en tant que ce prince est considéré comme le type du vrai « Boi des siècles », qui abat successivement tous ses ennemis et assied son trône sur les débris de leurs empires. Cf. Ps. cix, 2, et Apoc, xxii, 16.

Le passage relatif aux Cinéens semblerait toutefois rompre l’unité de celle vision prophétique. En effet, que viennent faire ici, parmi les ennemis d’Israël vaincus par son roi, les Cinéens, amis du peuple de Dieu ?I Reg., xv, 6 ; xxvii, 10 ; xxx, 29. Mais l’hébreu permet de résoudre cette difficulté. Balaam, après avoir prédit la ruine des Amalécites, dit que le Cinéen, au contraire, a une habitation stable et qu’il ne sera pas détruit, jusqu’au temps où Assur l’emmènera captif. C’est un constraste qui rappelle, en en montrant les effets différents, la conduite tout opposée qu’avaient tenue quarante ans auparavant, envers Israël, les Amalécites, d’une part, et les Cinéens en la personne de Jéthro, de l’autre. Exod., xvii, 8-14 ; xviii ; Jud., i, 16 ; iv, 17-22. Voir Keil, The Pentateuch^ t. iii, p. 196. C’est donc toujours la puissance du Dominateur qui s’exerce vis-à-vis des Cinéens comme des autres, mais en les protégeant comme amis de son peuple.

Le ꝟ. 24, où Balaam voit la puissance de l’Occident asservissant l’Orient, et détruite à son tour pour toujours, donne en deux mots comme une esquisse des tableaux