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Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome II.djvu/105

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CANTIQUE DES CANTIQUES


i, l-u, 7 ; se. 2, II, 8-17 ; se. 3, iii, 1-5. Seconde partie, le mariage, se. 4, iii, 6-v, 1. Troisième partie : perfection et fécondité de l’épouse, se. 5, v, 2-vi, 8 ; se. 6, vi, 9- viii, 4 ; se. 7, viii, 5-14. — Les interprètes des siècles précédents, Salazar, Rupert, Honorius d’Autun, divisaient le livre en quatre parties. Quant aux Pères, ils se contentent de l’expliquer, sans s’inquiéter d’aucune division. De toutes ces divergences, il y a lieu de conclure que les distinctions de jours, de chants, de scènes, ont quelque chose d’artificiel. Chacune peut se soutenir, mais nulle ne s’impose. Le poème n’a pas été composé d’après nos idées modernes, et pour y trouver des développements logiques, il faut prêter à l’auteur ce qu’on désire trouver dans son œuvre. Notons bien que l’intelligence du sens général du Cantique est indépendante de la manière dont on juge à propos de le diviser. On y remarque la peinture d’un amour qui unit deux jeunes époux, s’exprime par toutes sortes de témoignages et semble devenir de plus en plus ardent. Il reste à savoir en quel sens il faut entendre cet amour.

V. Interprétation du Cantique. — Le Cantique a été l’objet de bien des explications différentes. Les anciens Pères y ont cherché surtout matière à réflexions pieuses. Sans en méconnaître le sens principal, ils se sont d’abord préoccupés surtout d’en tirer des leçons de morale à l’usage de lame chrétienne. Dans les temps plus modernes, au xviie siècle en particulier, on s’est appliqué à serrer de plus près le sens du livre, et même à chercher s’il n’existerait pas un fond historique servant de base à une doctrine très élevée, comme, par exemple, dans les paraboles de Notre -Seigneur. Enfin, exagérant l’importance de ce prétendu sens historique, les interprètes protestants ont fini par n’en plus voir d’autre. De là trois espèces d’interprétations du Cantique : historique, mystique et allégorique.

1° Interprétation historique et exclusivement littérale.

— Le Cantique serait un épithalame célébrant soit l’union de Salomon avec la fille du roi d’Egypte ou avec la Sulamite, soit l’union d’un berger et d’une bergère, en tout cas, une union purement humaine. Cette interprétation se fit jour, probablement sous l’influence des sadducéens, dès l’époque de Notre -Seigneur. Le rabbin Akiba la combattit vivement et déclara que le Cantique des cantiques est très saint ; qu’aucun jour n’est plus précieux que celui où Israël le reçut, et qu’aucun Israélite n’a jamais douté de son caractère sacré. Yadaïm, ꝟ. 157 a. — Théodore de Jlopsueste prétendit plus tard que Salomon écrivit le Cantique pour atténuer l’impopularité de son mariage avec la fille du pharaon ou avec la Sulamite. Le cinquième concile général réprouva cette interprétation et reprocha à son auteur d’avoir par là « tenu des propos abominables pour des oreilles chrétiennes ». Mansi, Cône, t. ix, p. 225. — Quelques hérétiques du ive siècle, signalés par Philastre, évêque de Brescia, De hseres., 135, t. xii, col. 1267, embrassèrent le sentiment de Théodore. Cette idée ne reparaît plus ensuite qu’au xvie siècle, à l’époque de la Réforme. Seb. Castalio est chassé de Genève par Calvin pour l’avoir soutenue. Les anabaptistes s’en font ensuite les défenseurs. Hugo Grotius l’enseigne. Au xviiie siècle, Jacobi, Das gerellete Hohelied, 1771, prétend reconnaître dans le Cantique le récit imagé d’un enlèvement. Une jeune bergère y triomphe de la passion du voi en personne. Cette idée a défrayé depuis lors, moyennant quelques variantes, toute l’exégèse rationaliste. Renan s’en est emparé à son tour, Etude sur le Cantique, p. 2b Puis, pour lui donner plus de piquant, il a imaginé que le Cantique, écrit bien après Salomon, était un pamphlet dirigé contre le monarque, devenu odieux à ses sujets à raison de ses dépenses démesurées. Histoire du peuple d’Israël, t. ii, p. 173.

L’interprétation historique du Cantique des cantiques est absolument inacceptable. 1° Les Juifs n’ont jamais entendu le livre dans ce sens, comme le montre la pro testation indignée d’Akiba. D’ailleurs ils n’auraient point admis au nombre des Livres Saints un écrit de caractère exclusivement profane. Aussi Sehammaï et ses disciples, qui cherchaient à l’interpréter historiquement, avaient-ils soin de lui dénier le titre de livre sacré. — 2° L’interprétation purement historique est étrangère à toute la tradition chrétienne. — 3° Elle oblige à admettre dans le livre une foule d’incohérences qui auraient frappé les anciens aussi bien que nous, et ne leur auraient permis de croire ni à l’unité ni à l’inspiration du Cantique. Ainsi 1. l’épouse porte le nom de sœur, Cant., iv, 9, 10, 12 ; v, 1, 2 ; viii, 8 ; or, remarque saint Jérôme, qui connaissait bien la valeur des termes hébreux, ce mot « exclut tout soupçon d’amour charnel ». Contra Jov., i, 30, t. xxiii, col. 251. — 2. On ne peut rapporter à la fille du roi d’Egypte les traits suivants : l’épouse est née sous un pommier, Cant., viii, 5 ; elle garde ses vignes, i, 5 ; elle fait paître ses chevreaux en compagnie d’autres pasteurs, i, 7 ; elle court la ville pendant la nuit à la recherche de son époux, iii, 2, 3 ; elle est battue par les gardes, v, 7, et elle mène son époux dans la maison de sa mère à elle, iii, 4.

— 3. Ces traits ne conviennent pas davantage à Abisag, la Sunamite, avec laquelle on veut identifier la Sulamite. Salomon n’avait pas à la poursuivre au dehors, dans les vignes, puisqu’il l’avait trouvée dans le harem de David, d’où elle ne pouvait sortir. III Reg., i, 15. D’autre part, l’épouse ne se nomme pas Sunamite, mais Selomif, nom qui est le féminin de Selômôh, et qui ne désigne aucune personne connue dans l’histoire. Ce nom, inventé à dessein, ne peut se rapporter qu’à une personne idéale. — 4. Des incohérences analogues s’opposent à l’hypothèse qui fait du Cantique une histoire d’enlèvement. Tout d’abord, rien de moins oriental et de plus moderne que ce roman d’une jeune fille qui, recherchée à la fois par le roi et par un berger, donne sans hésiter la préférence à ce dernier. Rien de moins naturel que ce roi et ce berger faisant assaut de beau langage auprès de la bien-aimée, et que cette bergère narguant le prince en lui répétant sans cesse l’éloge de son préféré. Roman ou pamphlet composé plus ou moins de temps après Salomon, le Cantique n’en devrait pas moins conserver la couleur locale de l’époque, ce dont l’hypothèse rationaliste ne tient pas assez compte. Si encore on pouvait s’accorder dans la détermination du sujet et dans l’indication des paroles proférées par le roi et de celles que l’écrivain prête à son heureux rival ! Mais il n’en est rien. « Selon les uns, » dit Reuss, qui du reste tombe dans le même travers que les autres, « le sujet est historique ; selon d’autres, c’est une fiction. La scène se passe d’après ceux-ci à Jérusalem, d’après ceux-là à Baal-Hermon, d’après d’autres à Tliécué ; en un mot, au nord ou au midi, à la fantaisie de chacun. Suivant les différents avis, l’épouse est née à Sunam ou dans quelque faubourg ; l’époux habite à Engaddi ou au mont Liban ; pour ceux-ci c’est un roi, pour ceux-là un berger. L’épouse aime le roi, à moins qu’elle ne le déteste ; elle est elle-même l’épouse ou bien l’amante d’un berger, vendue par ses frères ou enlevée par les gens du roi, chassée violemment du harem, ou simplement congédiée par un roi magnanime. Toutes ces suppositions sont arbitraires, car le texte n’en dit mot. » Gesc/iichte des Alt. Testant., p. 221. Le même auteur écrit ailleurs avec beaucoup de bon sens : « La science exégétique s’est fourvoyéeavec cette idée du drame de l’enlèvement du sérail. Du moins, si cette hypothèse du cantique-drame devait n’êtrepas le fruit d’une étrange méprise, il faudrait convenir que jusqu’ici on n’a pas réussi à la rendre plus plausible. » Le Cantique, 1879, p. 50.

Pour tout concilier, les rationalistes ont recours à la : plus singulière hypothèse : toutes les paroles qui ne cadrent pas avec la situation imaginée par eux seraient dites en rêve par la jeune fille, ilais comment croire qu’un écrivain sérieux ait mélangé la réalité et l’hallucination dans son poème, sans laisser au lecteur aucun.