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de fiction : des fidèles veulent qu’on leur parle de ce dont les Évangiles canoniques ne parlent pas, que l’on satisfasse leur avide et pieuse curiosité, et des hommes se trouvent pour les satisfaire par des compositions, non pas légendaires, mais romanesques. C’est ainsi que les Acta Pauli et Theclæ furent fabriqués par un prêtre asiate fervent admirateur de saint Paul, et qui, au témoignage de Tertullien, avoua « être l’auteur de ce livre et l’avoir composé par amour de Paul ». Le second groupe, le plus curieux, le plus décimé, est constitué par des pièces qui ont dû leur origine à l’esprit doctrinaire : des gnostiques essayent de mettre sous forme de discours du Sauveur leur propre enseignement et couvrent leurs erreurs du nom de quelque apôtre ; il ne s’agit plus de roman, mais de faux. Il conviendrait enfin de faire dans ce second groupe même une place à part à quelques pièces, les plus anciennes du groupe, et qui, sur la frontière de la littérature canonique, ont laissé un temps certaines Églises hésitantes sur leur origine, ont pu passer pour canoniques en ayant quelque apparence de l’être, et dont il est aujourd’hui bien difficile de dire dans quelle mesure, avec des fictions et des erreurs, elles ne renferment pas des éléments empruntés à la tradition orale primitive. De ces dernières pièces, il sera question dans des articles spéciaux : Évangile des Égyptiens (voir plus haut, col. 1625), Évangile des Hébreux, voir t. iii, col. 532, Évangile de saint Pierre, Voir t. v, col. 413. Nous traiterons ici seulement des deux groupes sus-indiqués.

1re Classe. — 1° Le Protevangelium Jacobi se donne pour composé par « Jacques frère du Seigneur » : le récit commence à l’annonciation faite à Anne et Joachim de la future naissance de Marie, et s’arrête au massacre des Innocents. Le titre, fort impropre, est : Ἱστορία Ἰαϰώϐου περὶ τῆς γεννήσεως Μαρίας. Il est mentionné et condamné par le catalogue gélasien sous nom d’Évangile de Jacques ; mais cette répudiation officielle n’a pas fait qu’il n’ait été très populaire, et que maint récit sur la famille et sur l’enfance de Marie ne circule aujourd’hui encore sans autre source que le Protevangelium Jacobi. Le texte grec, dans l’état où on le possède, peut remonter au IVe siècle. Le latin est une adaptation du grec, peut-être du ve siècle, avec le titre fictif de Liber de ortu beatæ Mariæ et infantia Salvatoris a beato Mattheo evangelista hebraice scriptus et a beato Hieronymo presbytero in latinum translatas : en tête figure une épître supposée de Chromatius et Héliodore à saint Jérôme, et une réponse non moins supposée de saint Jérôme à ses deux amis. On a une version syriaque et une version arménienne. Le Protevangelium Jacobi est pour une part une adaptation des récits de l’enfance des Évangiles canoniques de saint Matthieu et de saint Luc, il dépend aussi de l’Évangile de saint Jean ; pour le reste, on le regarde comme grossièrement fabuleux ; mais l’auteur, sans attache avec les hérésies non plus qu’avec le judaïsme, semble être un catholique. La composition n’est pas antérieure à la fin du IIe siècle. Toutefois le Protevangelium Jacobi porterait les traces de juxtaposition de morceaux divers d’origine. M. Harnack y distingue :

  1. un récit de l’annonciation, de la naissance et de la vie de Marie, sorte de prélude au récit des Évangiles canoniques ;
  2. un récit de la naissance du Sauveur, récit censé fait par saint Joseph ;
  3. un récit de la mort de Zacharie.

Ces pièces seraient des productions du IIe siècle. Origène a connu une Bίϐλος Ἰακώϐου, qui pourrait bien être le premier récit. In Matth., x, 17, t. xiii, col. 876. Il n’y a pas de preuve décisive que le second récit ait été connu de Clément d’Alexandrie, Strom., vii, 16, t. ix, col. 529, encore moins de saint Justin, Dialog., 78, t. vi, col. 657. On trouve le texte du Protévangile dans Tischendorf, Evangelia apocrypha, Leipzig, 1876, p. 1-50. Pour l’arménien, The american journal of Theology, t. i, Chicago, 1897, p. 424-442 ; Harnack, Geschichte der altchristlichen Litteratur, t. i, Leipzig, 1893, p. 19-21 ; t. ii, 1897, p. 598-603.

2° L’Historia Josephi fabri lignarii est l’histoire de saint Joseph et de sa mort. On ne la possède qu’en arabe ; mais l’arabe n’est pas l’original, et il y a lieu de penser que l’original était copte. Ce roman remonterait assez haut, peut-être au Ve siècle. Les données qu’il renferme, et qui sont de fiction pure, mériteraient qu’on les étudie. Le texte latin est dans Tischendorf, Evangelia apocrypha, p. 122-139.

3° L’Evangelium sancti Thomæ est une composition dont nous avons deux recensions grecques, une latine et une syriaque ; c’est un récit de l’enfance de Jésus, τὰ παιδικὰ τοῦ κυρίου. La composition, dans l’état où elle nous est parvenue, serait un abrégé : le catalogue stichométrique de Nicéphore, en effet, mentionne l’Évangile selon Thomas comme une pièce de treize cents stiques ou versets. La composition primitive est signalée par Eusèbe, H. E., iii, 25, 6, t. xx, col. 279 ; par Origène, Hom. i in Luc., t. xiii, col. 1803 ; par l’auteur des Philosophoumena, v, 7, t. xvi, col. 3134. Saint Justin (Dialog., 88, t. vi, col. 685) l’a-t-il connu ? On ne peut sérieusement l’affirmer. Mais saint Irénée, Adv. hæres., i, 20, 1, t. vii, col. 653, y ferait, croit-on, allusion. À ce compte, l’Évangile selon saint Thomas primitif serait une production du IIe siècle. Ici encore le récit est purement fabuleux.

4° L’Evangelium infantiæ arabicum est un récit que l’on a seulement en arabe, mais dont on conjecture que l’original était syriaque. L’auteur a puisé dans le Protevangelium Jacobi et dans l’Evangelium Thomæ, en même temps que dans saint Matthieu et dans saint Luc ; mais une série de légendes d’origine populaire et d’un caractère tout oriental lui sont propres. Il n’y a pas de référence capable de dater cette compilation, sinon le fait que l’on trouve trace de ses légendes dans le Coran. On trouvera dans Tischendorf, Evang. apocr., p. 181-209, une version latine moderne de l’arabe.

5° L’Evangelium Nicodemi est un titre tout moderne (xvie siècle), sous lequel on a d’abord publié deux récits qui sont en réalité indépendants. — Le premier est constitué par les Acta Pilati, dont le titre exact est Ὑπομνήματα τοῦ κυρίου ἡμῶν Ἰησοῦ Χριστοῦ πραχθέντα ἐπὶ Ποντίου Πιλάτου. On en a deux recensions grecques publiées par Tischendorf, Evang. apocr., p. 210-332 ; une version copte, une version latine ; une version arménienne, en deux recensions, a été publiée par M. Conybeare, Studia biblica, t. iv, Oxford, 1896, p. 59-132. Ces Acta Pilati, composition apologétique harmonisant les données de nos Évangiles canoniques et aussi des éléments secondaires fictifs, doivent être une composition de genre apologétique datant du ive siècle : leur plus ancien témoin est saint Épiphane, Adv. hæres., 50, t. xli, col. 885. Il n’est nullement établi que les Acta Pilati dépendent de l’Évangile selon saint Pierre. Revue biblique, 1896, p. 647-648. Il est difficile de démontrer que Tertullien, Apolog., 21, Patr. lat., t. i, col. 403, a connu un texte se donnant pour le rapport de Pilate à Tibère : « …Omnia super Christo Pilatus, et ipse jam pro sua conscientia christianus, Csesari tune Tiberio nuntiavit. » On croyait, du temps de Tertullien, que Pilate avait dû référer à Tibère ; on le croyait aussi du temps d’Eusèbe, H. E., ii, 2, 2, t. xx, col. 140, qui n’en parle que par ouï-dire. Saint Justin, Apolog., i, 35 et 48, t. vi, col. 384 et 400, suppose des actes dressés sous Ponce Pilate, mais sans témoigner qu’il les connaît. Selon Eusèbe, H. E., ix, 5, 1, t. xx, col. 805, on fabriqua sous Dioclétien de faux Actes de Pilate « pleins de blasphèmes contre le Christ », que l’on fit répandre dans les villes et les campagnes, et que les maîtres d’école eurent ordre de faire apprendre par cœur aux enfants ; ces Actes sont mentionnés dans la passion de saint Taracus et de ses compagnons, martyrisés en Cilicie, en 304. « Ne sais-tu pas, dit le juge au martyr, que l’homme que tu invoques était un malfaiteur