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Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome II.djvu/709

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DÉLUGE


scripto de mtale mundi opposuere, La Haye, 1659. Une dissertation anonyme, De diluvii universalitate dissertatio prolusoria, 1667, attribuée à George-Gaspard Kirchmaier, restreint le déluge à l’Asie entière, ou même au centre de l’Asie, la seule partie du monde que les hommes occupaient alors. En 1685, les ouvrages de Vossius et de Horn sur la chronologie biblique et le déluge furent examinés par la congrégation de l’Index. Mabillon, qui vint alors à Rome, fut consulté à ce sujet, et, à la séance du 29 janvier 1686, il lut son Votum de quibusdam Isaaci Vossii opusculis, publié dans ses Œuvres posthumes, 1724, t. ii, p. 59-74. Des trois points incriminés, il n’étudia que le dernier, le seul contestable, celui qui concerne l’étendue du déluge. Il exposa les raisons favorables et défavorables, et conclut qu’à son avis il n’y avait aucun péril à tolérer le sentiment de Vossius, et qu’il valait mieux ne pas le censurer. Si cependant la congrégation jugeait plus sage de le condamner, il fallait en même temps frapper les ouvrages de Horn. La congrégation tint compte des conclusions de Mabillon, et par décret du 2 juillet 1686 condamna à la fois dix opuscules de Vossius et deux de Horn. Les motifs de la censure sont inconnus. On peut présumer que l’opinion du déluge restreint à la terre habitée n’a pas été directement atteinte, et que le décret prohibe seulement la lecture d’ouvrages d’écrivains protestants. Eût-elle été visée, cette opinion fut reprise par des catholiques, et, après avoir été expurgée des erreurs accessoires et appuyée sur de meilleures preuves, elle est soutenable et ne paraît pas contraire à l’orthodoxie. Cf. E. Mangenot, L’universalité restreinte du déluge à la fin du xvw siècle, dans la Science catholique, février et mars 1890, p. 148-158, 227-239. Elle compte de nombreux partisans : Samuel d’Engel, De la prétendue universalité du déluge et des divers systèmes qui ont servi à l’établir, Amsterdam, 1767 ; Alphonse Nicolai, Dissertazionie lezioni di Sacra Scrittura, Genesi, Florence, 1766, t. IV, p. 149 et 152 ; Marcel de Serres, De la cosmogonie de Moïse comparée aux faits géologiques, Paris, 1838, p. 205 ; Maupied, Dieu, l’homme et le mondé, 1851, t. iii, p. 803-805 ; de Bonald, Moïse et les géologues modernes, Avignon, 1835, p. 99 ; A. Sorignet, La cosmogonie devant les sciences perfectionnées, Paris, 1854, p. 59 ; Godefroy, Cosmogonie de la révélation, Paris, 1847, p. 293 ; Pianciani, Cosmologia naturale comparata col Genesi, appendice sopra il diluvio, dans la Civiltà cattolica, 19 septembre 1862, p. 28 et 290 ; H. Reusch, La Bible et la nature, trad. franc., Paris, 1867, p. 368-382 ; F. Hettinger, Apologie du christianisme, trad. franc., 1875, t. iii, p. 337 ; Lambert, Le déluge mosaïque, Paris, 1870, p. 359-394 ; C. Guttler, Naturforschung und Bibel in ihrer Stellung zur Schôpfung, Fribourg-en-Brisgau, 1877, p. 266-278 ; F. Vigoureux, Manuel biblique, 9e édit., 1. 1, p. 600-604 ; Crelier, La Genèse, Paris, 1889, p. 97-99 ; Brucker, L’universalité du déluge, Bruxelles, 1886, et Questions actuelles d’Écriture Sainte, Paris, 1895, p. 254-325 ; Thomas, Les temps primitifs et les origines religieuses d’après la Bible et la science, Paris, t. ii, p. 214-267 ; J. Gonzalez -Arintero, El diluvio universal, Vergara, 1891.

3° Universalité restreinte à une partie de l’humanité.

— D’autres savants, parmi lesquels on compte des écrivains catholiques, restreignent davantage encore le déluge et admettent que tous les hommes n’ont pas péri sous les flots, et que des races entières, éloignées depuis longtemps du théâtre de l’inondation, ont été préservées. Ces races seraient, d’après plusieurs, celles qui étaient issues de Caïn, et seule la lignée de Seth aurait été frappée. Quelques-uns même pensent que les populations qui se trouvaient en dehors de la vallée de l’Euphrate n’ont pas été atteintes. — Cette opinion repose sur les mêmes raisons que la seconde, dont elle n’est qu’une application plus rigoureuse. Elle part des difficultés scientifiques que la paléontologie, l’ethnologie et la linguistique opposent

à l’existence d’un déluge qui aurait englouti tous les hommes. Une multitude de faits de plus en plus nombreux permettent d’affirmer que dés les temps quaternaires l’homme occupait les quatre parties du monde, qu’il avait atteint les extrémités de l’ancien continent et qu’il touchait à celles du nouveau. A. de Qualrefages, Histoire générale des races humaines, Introduction à l’étude des races humaines, Paris, 1887, p. 64. Or les paléontologistes ne remarquent pas, par les ossements fossiles des humains, dans l’histoire des races lés lacunes que le déluge aurait dû y introduire. Aussi loin que remontent les documents historiques, on constate l’existence des races blanche, jaune et noire. Le nègre apparaît avec ses caractères distinctifs sur les plus anciens monuments de l’Egypte. Comme les variations se sont produites lentement sous l’influence des milieux, « les plus anciennes races humaines se sont formées, selon toute apparence, à la suite des changements qu’a subis notre globe et des premières migrations ». A. de Quatrefages, Histoire générale des races, p. 169. La linguistique confirme les conclusions de l’ethnologie. Les langues, si on admet leur formation naturelle, n’auraient pas eu le temps de se diversifier depuis le déluge jusqu’à l’époque où on les voit toutes formées. L’allongement de la chronologie biblique du déluge à Abraham, voir Chronologie de la Bible, col. 723-727, ne suffit pas à expliquer entièrement les faits constatés. Ces faits justifient donc la restriction du déluge à une fraction de l’humanité.

D’ailleurs cette restriction se concilie parfaitement avec le récit de la Genèse. Si, de l’aveu des partisans de l’universalité anthropologique, les expressions si absolues en apparence : « toute la terre, tous les animaux, » s’interprètent légitimement dans un sens restrictif, l’expression semblable : « Tous les hommes, » dans le même contexte, pourra s’entendre aussi d’une partie des hommes, des individus qui habitaient le théâtre de la catastrophe. Refuser d’admettre la restriction du mot tout quand il s’agit des humains, alors qu’on l’admet pour la terre et les animaux, serait une inconséquence que rien ne justifie. Il y a autant de motifs de restreindre l’universalité pour l’humanité que pour la terre et les animaux. La corruption morale, qui fut la cause du déluge, n’était pas absolument universelle, sinon dans la contrée où vivait Noé. La narration de la Genèse raconte les faits suivant la manière ordinaire de parler, selon laquelle « toute la terre » désigne la contrée submergée par les eaux ; « tous les hommes, » les habitants de cette contrée. En outre, la Genèse n’est pas l’histoire de l’humanité, mais seulement celle des ancêtres du peuple de Dieu. Or, au moment où elle raconte le déluge, elle a éliminé de son cadre des races entières, issues des fils et des filles d’Adam et des autres patriarches. Son récit du déluge, qui a d’ailleurs une couleur locale bien marquée, ne parle plus de ces races et n’a en vue que les habitants de la contrée où s’étaient passés les faits. Enfin, de l’aveu de tous, la table ethnographique du chapitre x de la Genèse n’est pas complète et ne mentionne pas les races jaune, rouge et noire. Ces races proviennent sans doute d’individus qui n’étaient pas de la lignée de Noé. L’abbé Motais, Le déluge biblique, in-8°, Paris, 1885, p. 301-333, avait cru trouver dans le Pentateuque des traces des survivants du déluge, et il nommait les Caïnites, les Amalécites, les Sodomites et les populations géantes de la Palestine, les Émim, les Zomzommim, les Avorim et les Horim. Mais ces traces sont peu probables. Voir Amalec, t. i, col. 426427 ; Cinéens, t. ii, col. 768-770, et Rambouillet, Gain redivivus, in-8°, Amiens, 1887.

A cette interprétation, les partisans de l’universalité du déluge quant aux hommes objectent, non sans fondement, que le récit biblique renferme divers traits qui sont directement et positivement opposés à toute restriction du cataclysme à une fraction de l’humanité. L’homme que Dieu veut détruire par le déluge, c’est l’homme qu’il a créé, qu’il