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Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome II.djvu/710

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DÉLUGE


se repent d’avoir fait, Gen., vi, 5-8 ; c’est donc le genre humain et non une partie seulement de l’humanité. D’ailleurs Noé, après sa sortie de l’arche, est présenté comme le père et le chef de tous les hommes qui vivront après le déluge. Gen., ix, 1 et 19. Enfin le plan’de la Genèse n’élimine pas nécessairement avant le chapitre vi les entants de Cain et les autres descendants des patriarches en dehors de la lignée principale, qui devait être celle du peuple de Dieu. Cette lignée n’est complètement isolée qu’au début de l’histoire d’Abraham. À la troisième opinion, on oppose aussi des textes bibliques qui sont pris en dehors de la Genèse et qui affirment que tous les hommes ont péri dans le cataclysme. — Mais « l’espérance de l’univers, réfugiée sur un navire », qui conserva « le germe d’une postérité », Sap., xiv, 6, peut s’entendre de Noé, père des hommes postdiluviens, même dans l’hypothèse d’autres races survivantes. En tout état de choses, Noé, juste et parfait, fut la rançon de l’humanité ; il fut au moins une semence de justes ou le chef d’une nouvelle race. Eccli., xliv, 17 et 18. Si Jésus compare la fin du monde avec le déluge, qui emporta sinon tous les hommes, du moins tous les voluptueux du temps, Matlh., xxiv, 37-39, sa comparaison porte non sur l’universalité des victimes, mais bien sur le caractère inopiné du déluge et du jugement dernier, et il dit seulement : « Malgré les avertissements et les signes certains, les contemporains de Noé furent surpris par le déluge, qui les extermina tous. » Cf. Fillion, Évangile selon saint Matthieu, Paris, 1878, p, 470. Quand saint Pierre parle des huit âmes qui furent sauvées dans l’arche, I Petr., iii, 19 et 20, son but n’est pas de démontrer la nécessité ou l’universalité du baptême, mais son efficacité. Il compare l’eau du baptême à celle du déluge en tant qu’elle sauve, non en tant qu’elle perd, et il affirme que tous les baptisés seront sauvés aussi certainement que le furent le petit nombre d âmes qui étaient renfermées dans l’arche au temps du déluge. Drach, Êpîtres de saint Paul, Paris, 1871, p. 100. Si le même apôtre dit que Dieu n’a pas épargné le monde primitif et n’a sauvé que Noé le huitième, c’est-à-dire sept autres personnes avec lui, en amenant le déluge sur le monde des impies, II Petr., ii, 5-7, on peut expliquer sa parole du monde au milieu duquel vivait Noé, le prédicateur de la justice. Doue ces textes ne prouvent ni pour ni contre l’universalité ethriographique du déluge. Oppose-t-on à la troisième opinion l’accord unanime avec lequel les Pères reconnaissent l’universalité anthropologique du déluge, ses partisans répliquent qu’il est loisible de s’écarter du sentiment commun des Pères sur ce point aussi légitimement qu’au sujet de l’universalité géographique et zoologique. Il est vrai, on a dit que le témoignage des Pères relativement à l’inondation du globe et à la destruction des animaux ne constitue pas un enseignement ecclésiastique, tandis qu’il affirme la destruction du genre humain comme un point de foi, comme une vérité connexe avec la foi, puisqu’il la donne pour base à un type certain, à la signification figurative de l’arche, représentant l’Église, hors de laquelle il n’y a pas de salut. L’existence du type est indiscutable. Mais il n’est pas de la nature du type qu’il y ait équation entre lui et l’antitype qu’il représente. Un fait relativement universel peut servir de type à un fait absolument universel. La maison de Rahab est considérée par les Pères comme la figure de l’Église, eh dehors de laquelle il n’y a pas de salut. Les huit personnes qui étaient dans l’arche représentaient tous les sauvés. Les contemporains de Noé, les seuls habitants de la contrée submergée, peuvent représenter tous ceux qui seront damnés hors de l’Église, sans que la signification typique du déluge perde de sa valeur. L’universalité relative du déluge quant aux hommes suffit donc à maintenir la vérité du type. Les Pères, il est vrai, s’appuient sur l’universalité absolue de la destruction des hommes. Ils n’en ont pas fait toutefois une condition nécessaire du type prophétique ; ils n’ont pas

exclu expressément l’universalité relative, et leur manière de s’exprimer ne l’exclut pas équivalemment. Ils n’ont donc pas tranché d’autorité une question qui ne se posait pas pour eux.

Si la troisième opinion ne peut pas invoquer en sa faveur l’autorité des anciens, elle compte déjà beaucoup de partisans. Elle n’est pas tout à fait nouvelle. Le dominicain Jérôme Oléaster, Comment, in Pentateuchum, Lyon, 1586, p. 518, admettait que les Cinéens, Num., xxiv, 21, descendaient de Caîn. Isaac de la Peyrère restreignait le déluge à la Palestine, Systema theologicum ex Prseadamitarum hypothesi, 1655, p. 202-219 ; Aug. Malbert, Mémoire sur l’origine des nègres et des Américains, dans le Journal de Trévoux, 1733, p. 19401972 ; Frdr. Klee, Le déluge, considérations géologiques et historiques, 1853, p. 311-319 ; Ch. Schœbel, De l’universalité du déluge, 1856, et Annales de philosophie chrétienne, 1878, p. 422 ; d’Omalius d’Halloy, Biscours à la classe des sciences de l’Académie de Belgique, 1866 ; Scholz, Die KeilschriftVrkunden und die Genesis, 1877, p. 71 ; ’Notais, Le déluge biblique devant la foi, l’Écriture et la science, Paris, 1885 ; Ch. Robert, La non-universalité du déluge, Paris et Bruxelles, 1887 ; Encore la non-universalité du déluge, extraits de la Revue des questions scientifiques. Un plus grand nombre d’écrivains, sans l’adopter positivement, la tiennent pour libre, soutenable et probable. Jaugey, Dictionnaire apologétique de la foi catholique, p. 748-773 ; cardinal Meignan, De l’Éden à Moïse, Paris, 1895, p : 235-238 ; J. A. Zahm, Bible, science et foi, trad. franc., Paris [1896], p. 105-163 ; Schopfer, Histoire de l’Ancien Testament, trad. franc., Paris, 1897, p. 82-87 ; Bibel und Wissenchaft, 1896, p. 201-245 ; F. de Hummelauer, Comment, in Genesim, Paris, 1895, p. 235-236, qui donne une bibliographie très complète. Si les sciences établissaient par une démonstration rigoureuse ou par un ensemble d’indications précises et convergentes la non-universalité anthropologique du déluge, on devrait admettre que le récit biblique ne s’y oppose pas. Mais les sciences n’ont pas encore jusqu’à présent établi ce fait, et on peut satisfaire à leurs légitimes exigences actuelles en reculant la date du déluge. Il n’est donc pas nécessaire d’adopter le sentiment qui restreint le déluge à une partie de l’humanité. On n’y serait contraint que si la nonuniversalité devenait une^ vérité incontestable, et on pourrait le faire ; puisque la foi n’y apporte pas obstacle. En attendant, il est sage et prudent de s’en tenir à la seconde opinion.

IV. Nature du déluge. — Aussi longtemps qu’on a admis l’universalité absolue du déluge, on a cru à son caractère miraculeux. Une intervention directe de Dieu était, en effet, nécessaire pour expliquer la submersion du globe entier, et l’universalité absolue de l’inondation entraîne comme conséquence logique une origine miraculeuse. Les anciens exégètes ont pu hésiter et ne pas s’accorder dans la détermination du point précis où l’action immédiate de Dieu s’était fait sentir, voir Motais, Le déluge biblique, p. 210-214 ; d’un accord unanime, ils ont reconnu dans le déluge biblique un fait produit en dehors dès lois ordinaires de la nature, un fait miraculeux. Mais dès qu’on a commencé à restreindre l’inondation à des limites déterminées, soit à la région qu’occupaient alors les hommes, soit aux pays connus des Hébreux, soit à une contrée particulière, elle est apparue comme un événement provoqué sans doute par une intention spéciale de Dieu, mais réalisé par le jeu des forces naturelles ; comme un fait providentiel dans son but, miraculeux dans son annonce prophétique, mais naturel dans son mode de production. Il y a donc lieu de se demander si le déluge a été produit par une intervention directe de Dieu, ou s’il a été l’effet de causes physiques dirigées seulement par la Providence.

L’annonce prophétique de la catastrophe ne prouve pas que le cataclysme lui-même a été miraculeux. D’autres