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Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome III.djvu/970

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1883
1884
KABBALE — KALISCH

l’homme, etc. La première de ces trois parties doit seule nous arrêter ici.

II. Procédés exégétiques de la kabbale. — L’exégèse kabbalistique part de ce principe, essentiellement arbitraire, que la Sainte Écriture, outre le sens qu’expriment les mots, a d’autres sens mystérieux et plus profonds qui se cachent dans les lettres elles-mêmes, et que seuls les initiés savent découvrir. Trois procédés conduisent à cette découverte.

1o La Themûrâh, « substitution, » de mûr, « changer, » consiste à remplacer chaque lettre de l’alphabet par une lettre correspondante, suivant certaines conventions. Dans l’athbasch, la première lettre, א, est remplacée par la dernière, ת, la seconde, ב, par l’avant-dernière, ש, etc. Voir Athbasch, t. i, col. 1210. Dans l’albam, on remplace la première lettre, א, par la douzième, ל, la seconde, ב, par la treizième, מ, etc. La Themura, qui tire son nom d’un mot hébreu, paraît remonter à une assez grande antiquité.

2o La Gematria, de γεωμετρία, « mesure du sol, » traite les lettres au point de vue de leur valeur numérique et en tire de multiples conséquences. Pour la valeur numérique des lettres, voir Nombres. Ainsi le premier et le dernier verset de la Bible hébraïque, Gen., I, 1 ; II Par., xxxvi, 23, contiennent chacun six א, première lettre du mot ’éléf, qui veut dire « mille » ; donc le monde durera six mille ans. La valeur numérique des deux premiers mots de la Genèse, ber’èšîṭ bârâ’, est de 1116, la même que celle des lettres de ces trois mots : bero’š hašânâh nibrâ’, « il a été créé au commencement de l’année ; » donc le monde a été créé au début de l’année civile des Hébreux, à l’équinoxe d’automne. Les lettres du mot mâšiaḥ, « oint, » et celles du mot nâḥâš, « serpent, » donnent un même total de 358 ; donc le Messie se mesurera avec Satan et l’emportera sur lui. Le nuage léger, ‘âb qal, sur lequel est porté Jéhovah, Is., XIX, 1, vaut 202 ; le fils, bar, qu’il faut adorer, Ps. II, 12 (Vulgate : disciplinam), représente aussi 202 ; l’échelle, sullâm, de Jacob, Gen., XXVIII, 12, vaut 130 ; si on y ajoute la valeur numérique du nom divin, יהוה, Yehôvâh, qui est de 72, on a encore 202 ; de là d’admirables conclusions sur la nature du Fils, qui porte sur lui la divinité, comme le nuage léger, et unit l’homme à Dieu, comme l’échelle de Jacob. En somme, l’égalité des nombres représentés par les lettres permet de conclure à l’équivalence des idées, des objets ou des personnages. Ces théories numériques sont anciennes. Elles sont signalées chez les gnostiques par saint Irénée, qui les réfute, Adv. hær., I, XIV, 2 ; II, xxv, 1, t. vii, col. 597, 798, et par l’auteur des Philosophumena, vi, 43, t. xvi, col. 2363.

3o Le Notaricon, de nota, « indication, » prend chaque lettre d’un mot comme l’initiale d’un autre mot, où les initiales des mots d’une phrase comme les éléments d’un seul mot. Ainsi le premier mot de la Genèse, ber’èšîṭ, devient le principe des mots suivants : bârâ’, il a créé, râqîa‘, firmament, ’éréṣ, terre, šamayim, cieux, yâm, mer, tehôm, abîme, ce qui constitue une proposition d’une justesse incontestable. Du même mot, on a tiré la formule suivante du mystère de la Sainte Trinité : bên, Fils, rûaḥ, Esprit, ’âb, Père, šelšâh, trois, yeḥîdâh, unité, tâmâh, parfaite. Les trois lettres du nom d’Adam, אדם, commencent les trois noms d’Adam, de David et du Messie, ce qui indique que le Messie sera fils d’Adam et de David. Réciproquement, les initiales des quatre mots : mî ya‘ăléh-lânû haš-šâmayemâh, « qui nous conduira au ciel ? » Deut., xxx, 12, composent le mot mîlâh, « circoncision, » et fournissent une excellente réponse au point de vue Israélite. Avec les finales des trois mots : bârâ’’Élohîm la‘ăṣô, « Dieu créa pour faire, » Gen., II, 3, onṭ obtient le mot ’ĕmêṭ, « vérité, » qui marque excellemment le terme de l’action divine.

En réalité, ces combinaisons littérales et cette valeur prêtée à de simples lettres n’ont rien que de puéril, d’imaginaire et de stérile. Les quelques exemples que nous venons de citer suffisent à le montrer. Si le nombre 358, commun au nom du Messie et à celui du serpent, prouve que le Messie vaincra le serpent, il prouve tout aussi logiquement le contraire, et même, si l’on veut, que le Messie ne sera autre que le serpent. Si, par le mot ber’èšîṭ, on démontre que les trois personnes de la Sainte Trinité forment une unité, yeḥîdâh, parfaite, on peut conclure, avec non moins de raison, qu’elles forment aussi une autruche, yâ‘ên, parfaite, etc. Certains apologistes ont pu légitimement chercher dans les élucubrations kabbalistiques l’expression de croyances anciennes conformes à celles du christianisme. Mais, si ces formules représentent exactement l’état des idées juives, à l’époque où elles ont été composées et transcrites, et si cette constatation peut servir d’argument traditionnel pour convaincre certains esprits, il n’en est pas moins incontestable que les procédés à l’aide desquels les kabbalistes ont établi ces formules n’ont absolument rien de logique ni de sérieux. Il suit de là que l’exégèse biblique n’a pas le moindre profit à tirer de la kabbale.

Sur la kabbale, voir Richard Simon, Histoire critique du Vieux Testament, iii, 5, Rotterdam, 1685, p. 374 ; Azariel (le premier des kabbalistes), פרוש עשר ספירות, Pêrûš ‘éṡér Sefîrôṭ, Commentaire des dix Sephiroth, par demandes et réponses, publié à Varsovie en 1798 et à Berlin en 1850 ; Fr. Buddée, Introductio ad histor. philosophiæ Hebræor., Halle, 1720 ; A. Franck, La Kabbale ou la philosophie religieuse des Juifs, Paris, 1843, 2e édition, 1889 ; Drach, De l’harmonie entre l’Église et la synagogue, t. II, p. xv-xxxvi ; Ad. Jellinek, Moses ben Schem-Tob de Leon und sein Verhältniss zum Zohar, Leipzig, 1851 ; id., Beiträge zur Geschichte der Kabbala, Leipzig, 1852 ; Ginsburg, Die Kabbalah, in-8o Londres, 1865 ; Ed. Reuss, Kabbala, dans Herzog, Real-Encyklopadie, 2e édit., t. vii, 1880, p. 375-390 ; Munk, Palestine, Paris, 1881, p. 519-526 ; L. Wogue, Histoire de la Bible et de l’exégèse biblique, in-8o, Paris, 1881, p. 271-276 ; Cornely, Introduct. in U. T. libros sacros, Paris, 1885, t. I, p. 599-602 ; S. Rubin, Heidenthum und Kabbala ihrem Ursprung wie ihrem Wesen nach dargestellt, in-8o, Vienne, 1893 ; K. Kiesewetter, Der Occultismus des Altertums, in-8o, Leipzig, 1896 ; S. Karppe, Étude sur les origines et la nature du Zohar, précédé d’une étude sur l’origine de la Kabbale, in-8o, Paris, 1901.

H. Lesêtre.

KADIM, nom du vent d’est en hébreu. Voir Qadim.

KAL, nom donné à la première conjugaison du verbe hébreu. Voir Hébreu, iii, 2o, 1, col. 495.

KALISCH Marius Moritz, commentateur israélite, né à Treptow en Poméranie, le 16 mai 1828, mort à Baslow-Rowsley (Derbyshire), le 25 août 1885. Né de parents juifs, il étudia à Berlin et à Halle. Il quitta l’Allemagne pour l’Angleterre à la suite des mouvements révolutionnaires de 1848. Il s’établit à Londres où il fut d’abord secrétaire du grand rabbin de cette ville, puis, en 1853, précepteur des enfants du baron Lionel de Rothschild. Il commença avec leur aide les publications exégétiques qui remplirent le reste de sa vie. Son œuvre principale est son Historical and critical Commentary on the Old Testament, 4 in-8o, Londres, 1855-1872 (ouvrage resté incomplet). Le volume sur l’Exode parut en 1855, celui qu’il consacra à la Genèse en 1858 ; les deux dans lesquels il explique le Lévitique parurent en 1867 et 1872. La maladie l’arrêta en 1873, et il ne publia depuis cette époque que deux autres volumes exégétiques sous le titre de Bible Studies, Part I. The Prophecies of Balaam, in-8o, Londres, 1875 ; Part II. The Book of Jonah, in-8o, Londres, 1877-1878. En 1862-1863,