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LONGEVITE


auraient dû engendrer dès l’âge de 6 ans, Lamech même à 5 ans. Saint Augustin montre avec raison que les années patriarcales ne différaient pas des années ordinaires, puisque, dans le récit du déluge, il est question de second, de septième, de dixième mois, et, plus de 54 jours après ce dixième mois, d’un premier jour du premier mois. Gen., vii, 11 ; viii, 4-13. Pour expliquer l’âge déjà avancé des patriarches un moment où naît le fils qui doit leur succéder, le saint docteur remarque avec raison que ce fils n’est pas nécessairement le premier-né, comme le prouve l’exemple de Seth occupant la première place après Adam, bien qu’ayant eu certainement pour aînés Caïn et Abel.

5° On a cherché à résoudre autrement la difficulté que l’on croit voir dans la longévité des patriarches. Les noms des patriarches ne seraient que des noms de peuples issus les uns des autres, et la longueur de leur vie ne représenterait qu’une période de la vie de chaque peuple. La disposition du texte se prête fort peu à cette explication. Un peuple n’engendre pas un autre peuple à date fixe, et ensuite ne meurt pas régulièrement après avoir engendré aussi d’autres peuples. Pour éviter cet inconvénient, on dit que la plupart des chiffres marquant les années sont des additions postérieures au texte primitif. Cf. Ch. Bunsen, Aegyptens Stelle in der Weltgeschichte, Gotha, 1856-1857, t. iv, p. 443 ; t. v, part. 2, p. 72. On n’aurait écrit d’abord que l’âge du patriarche ; les autre ? chiffres marqueraient des cycles durant lesquels la race du patriarche a survécu à l’état distinct. Cf. Chevallier, L’année religieuse dans la famille d’Abraham on chronologie antique retrouvée dans la Bible, Paris, 1873. Bien que cette manière d’interpréter le texte offre une solution commode, elle ne paraît guère conforme à la pensée de l’écrivain, qui parle comme on le fait quand il s’agit d’hommes, et non de peuples ou de périodes. Cf. de Broglie, Les généalogies bibliques, dans le Congrès scient, internat, des catholiques, Paris, 1889, t. i, p. 105, 106.

6° Pour justifier l’interprétation cyclique donnée aux chiffres de la généalogie patriarcale, on a encore imaginé une corrélation entre le total des années attribuées aux dix patriarches et les 432000 ans des rois chaldéens. On suppose que le sare de la Genèse, évalué d’après un système duodécimal, valait 72 ans, soit 12 ans multipliés par 6, le nombre des jours de travail de la semaine. Le sare astronomique chaldéen aurait au contraire été calculé d’après le système décimal, et comprendrait 60 sosses ou minutes de 60 ans ou secondes cosmiques, soit 3 600 ans. Moïse et Bérose donnent chacun 120 sares à la durée de la période antédiluvienne ; seulement les sares de Moïse ne sont que la cinquantième partie des sares de Bérose. Or le cinquantième de 432000 ans donne 8640 ans, soit à peu près le total des années patriarcales d’après l’hébreu et les Septante. Cette ressemblance serait l’indice d’une tradition cyclique commune à Moïse et à Bérose, ressemblance d’autant plus frappante qu’elle se retrouve entre le total d’années des sares civils de Bérose et celui des années que les Septante attribuent aux dix patriarches avant la naissance de leur héritier. Cf. Bourdais, Pat)*iarches (Chronologie des), dans le Dictionnaire apologétique de Jaugey, Paris, 1889, p. 2360-2363 ; O. Zockler^ Die Lehre vom Urstand des Menschen, Gûtersloh, 1879, p. 244 ; Fr. Lenormant, Les origines de l’histoire, Paris, 1880, t. i, p. 214.

6° L’examen attentif de la table généalogique des patriarches antédiluviens autorise à ne pas l’interpréter avec une littéralité absolue. Tout d’abord, la plupart des noms des patriarches sont des noms hébreux. Ils ne représentent donc pas les noms primitifs. Peut-être ne sont-ils qu’une traduction approximative des noms véritables, auxquels on aura tenu, comme il est d’usage en Orient, à donner un sens intelligible dans la langue parlée par ceux qui recueillaient l’antique tradition. Cf. Lagrange,

La méthode historique surtout à propos de l’A. T., Paris, 1903, p. 188-193. Ensuite, il ne paraît guère possible de soutenir la continuité des généalogies bibliques. Elles renferment très certainement des lacunes, et ces lacunes sont probablement très considérables dans la série antédiluvienne. Cf. Chronologie biblique, t. H, col. 723, 724 ; Généalogie, t. iii, col. 165, 166. Le nombre de dix patriarches a été choisi, d’après le nombre des doigts, pour aider la mémoire, et le narrateur primitif s’est préoccupé beaucoup plus de fixer la descendance que d’établir une chronologie exacte. « Il faut reconnaître qu’il y a eu, depuis une très haute antiquité, une erreur d’interprétation que toute la tradition des exégètes a suivie, d’après laquelle on a supposé d’une part la continuité des généalogies, et d’autre part l’intention, chez l’auteur sacré, de fournir les éléments d’une chronologie générale. La discontinuité est démontrée par les nombreux exemples de sauts par-dessus plusieurs générations avec l’emploi des termes servant dans notre langue à désigner les relations d’un père avec son fils. L’emploi large des termes hôlid, yâlad, « il engendra, » ou benê, « fils, » même avec la mention de chiffre d’années, paraît constituer le style technique des généalogies, style sur le sens duquel les interprètes se sont trompés. Quant à l’intention de faire une chronologie générale, elle ne doit pas être présumée, les procédés employés pour cela n’étant pas aptes à ce but… Observons que cet abandon de la chronologie antérieure à Abraham ne touche en rien ni au caractère historique de la Bible en général, ni à l’exactitude de la chronologie postérieure : ce sont des questions toutes différentes. » De Broglie, Les généalogies bibliques, 1889, p. 111. S’il ne fa ut entendre d’une manière rigoureusement littérale ni les noms attribués aux dix patriarches, ni la descendance immédiate des uns par rapport aux autres ; s’il faut voir dans les dix personnages mentionnés des repères destinés à jalonner la route et non à la mesurer, il s’en suit que le nombre des années assigné à chacun peut être pris également dans un sens très large. Il y a évidemment une tradition commune aux anciens peuples sur la longévité de leurs premiers ancêtres, et cette tradition se présente sous une forme particulièrement concordante chez les Hébreux et chez les Chaldéens. Mais il ne semble pas qu’elle permette de conclure au delà d’une longévité des premiers hommes, dépassant notablement celle de leurs descendants. Les chiffres, probablement établis à l’origine d’après une conception dont nous n’avons pas le secret, n’ont sans doute pas été conservés plus exactement par la tradition orale qu’ils ne l’ont été ensuite par les textes écrits. Ils n’auraient donc qu’une valeur très relative au point de vue historique et biographique. Saint Augustin, De peccato origin., 23, t. xliv, col. 398, dit au sujet des patriarches antédiluviens : « Pourquoi les anciens hommes ont-ils vécu aussi longtemps que l’atteste l’Écriture ? Pourquoi n’ont-ils commencé à avoir des fils que très tard, relativement à leur vie plus longue ? Comment a pu vivre Mathusalem, qui n’était pas dans l’arche, et qui, d’après la plupart des textes grecs et latins, doit avoir survécu au déluge ? … Qui ne comprend que dans ces questions et une foule d’autres semblables, qui se rapportent soit aux œuvres les plus mystérieuses de Dieu, soit aux secrets les plus profonds des Écritures, on peut ignorer beaucoup de choses sans risque pour la foi chrétienne, et même parfois se tromper sans avoir à être accusé d’hérésie. » On ne peut donc que constater la longévité des premiers patriarches, mais il faut renoncer à la mesurer. Sa durée extraordinaire se justifierait, si elle est à prendre à la lettre, soit par miracle, soit plutôt par des conditions de vie humaine beaucoup plus favorables que celles qui ont prévalu depuis.

II. Patriarches postdiluyiems. — 1° Comme les précédents, ils se présentent au nombre de dix, en y compre-