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Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome IV.djvu/347

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MANNE

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V. Explication naturaliste de la manne. — 1°, Tosèphe, Ant. jud., VIII, i, 6, après avoir qualifié la manne d’aliment ôeîov xai itapâSoijov, « divin et inimaginable, » ajouté : « Elle pleut encore sur toute cette région, de même qu’alors, à la prière de Moïse, Dieu la faisait tomber pour servir de nourriture. » L’écrivain juif croyait donc à l’identiié substantielle de la manne mosaïque avec celle qu’on recueille dans la presqu’île du Sinaï ; il ne les distinguait que par leur origine. — 2° D’après beau-Coup d’auteurs modernes, la manne serait l’exsudation naturelle d’un arbrisseau, le Tamaris gallica. Cet arbrisseau, qui peut atteindre de cinq à six mètres de haut, est garni de petites feuilles alternes, disposées comme des écailles et porte des fleurs blanches ou lilas, quel 196. — Tamaris mannifera.

qoefois un peu purpurines, affectant la forme de grappes horizontales ou pendantes. Cette plante vient dans les terrains sablonneux, le long de la mer ou des rivières, dans toute la région méditerranéenne, dans l’Inde et les îles Canaries. Une variété de tamaris, nommée tarfah par les Arabes, croit dans la presqu’île du Sinaï, spécialement dans l’ouadi Tarfah, qui forme la partie méridionale de l’ouadi Schech. Ce tamaris a été appelé Tamaris mannifera (fig. 196). Sous l’influence de la piqûre d’un insecte, le cocctts manniparùs, les tiges de l’arbrisseau exsudent une gomme épaisse et mielleuse, qui pend comme des gouttes de rosée, se liquéfie à la chaleur des rayons du soleil, en juin et en juillet, et tombe à terre où elle se mêle aux feuilles sèches et à la poussière. Les Arabes, qui lui donnent le nom de man, la recueillent, la tamisent et la conservent longtemps. Ils la mangent en l’étendant sur leur pain, comme du miel, dont elle a d’ailleurs le goût et l’arôme. La manne se garde très bien pendant des mois et des années. Les moines du mont Sinaï en recueillent et en distribuent aux voyageurs ; ceux-ci peuvent en ramasser eux-mêmes et la conserver. Cf.Ehrenberg, Symboles physicæ, I s zoologica, ’u, ’insecta, 40, coccus manniparùs, Berlin, 1826 ; Burckhardt, Travels in Syria, Londres, 1822, p. 600-601 ; Tischendorf, Aus dem keiligen Lande, 1862, p. 54-56 ; Berthelot, Sur

la manne du Sinaï et sur la manne de Syrie, dans les Comptes rendus de l’Académie des sciences, sept. 1861, p. 584-586 ; C. Ritter, Die Erdkunde von Asien, VIII, Abth. ii, Abschn. 1, Berlin, 1848, p. 665. — 3° D’autres ont conjecturé que la manne pouvait provenir d’un arbrisseau appelé sainfoin épineux, Hedysarum alliagi ou Alhagi Maurorum (voir t. i, fig. 101, col. 367), arbuste rabougri, presque sans feuilles, à rameaux suffrutescents et très divergents, sur lesquels les pédoncules des fleurs avortées forment de longs piquants. Il se couvre en été de jolies Heurs rouges. À la même époque, ses rameaux exsudent, sous forme de petits grains jaunâtres, une substance gommeuse et sucrée, la manne de Perse, la manne alhagi, le térendjabin des Arabes. Cette plante abonde dans les terres incultes des régions tropicales. Dans la péninsule Sinaïtique, elle est bien plus rare qu’en Egypte et en Perse, et personne ne songe à en recueillir la manne. En Perse, au contraire, on l’emploie, en guise de sucre, pour les pâtisseries et d’autres mets de fantaisie. Cf. Jullien, Sinaï et Syrie, Lille, 1893, p. 68. C’est cette manne dont les Hébreux se seraient nourris dans le désert, d’après Rosenmùller, In Gènes, et Exod., Leipzig, 1795, p. 505-507.-r- 4° On a aussi identifié la manne hébraïque avec un lichen qui se rencontre assez abondamment dans les régions montagneuses de l’Afrique septentrionale et de l’Asie, du Taurus à la Tartarie. Ce lichen est appelé Lecanora esculenta, ou par d’autres naturalistes, Sphferothallia esculenta. Cf. de Hummelauer, Comment, in Exod. et Levit-, Paris, 1897, p. 173. Il pousse sur des rochers arides, calcaires ou gypseux, et y forme des couches parfois assez épaisses. Comme il ne tient au sol que par une attache de faible section, un vent un peu fort l’en arrache aisément, et, surtout dans les chaleurs de l’été, le fait retomber en pluie de petits grains dans les vallées inférieures, parfois même dans des régions relativement éloignées. Dans certains pays, ces grains de lichen couvrent toutes les plantes dans les mois de juillet et d’août ; mais la chute en est très inégale, suivant les années et les circonstances atmosphériques, Pour recueillir cette sorte de manne, en particulier dans le Kurdistan, on coupe les branches des chênes à galles et on les laisse sécher deux ou trois jours. Il suffit alors de les secouer pour que le lichen tombe sous forme de poussière. Les Tartares appellent ce produit « pain terrestre », et les Kurdes le mangent en le mêlant à la farine ou même à la viande. À l’analyse, on le trouve composé de 60 pour cent d’oxalate de calcium, ce qui ne l’empêche pas d’être mangeable, mais ne permet pourtant de lui attribuer qu’une valeur nutritive des plus minimes. On comprend dès lors que les Kurdes jugent à propos de le mélanger à des substances capables d’alimenter. Bien qu’à la merci des grands vents, le Lecanora esculenta a la propriété de végéter même après avoir été arraché de sa place primitive, comme le montrent les cicatrices tantôt récentes et tantôt plus anciennes qu’il présente sur l’une ou l’autre de ses faces. Cf. Virey, dans le Journal de Pharmacie, 1818, 2e sem., iv, p. 125 ; J. Leunis, Synopsis der Pflanzenkunde, Hanovre, 1883, paragr. 939, 146, 1 ; L. Errera, Sur le « pain du ciel » provenant de Diarbékir, Bruxelles, 1893.

— 5° On rencontre aussi dans le nord de l’Afrique, surtout dans la région saharienne, en Arabie, en Asie Mineure, etc., une sorte de truffe que les Arabes appellent terfas, à laquelle on a donné le nom de Tuber niveum. ou de Terfezia leonis. Ce cryptogame est recouvert d’une pellicule brune, mais se compose d’une substance homogène d’un blanc pur. Il pousse sur les terrains rocailleux ; il est comestible et sert à alimenter lés caravanes arabes durant de longs mois. C’est une espèce de champignon qui paraît répondre à plusieurs des conditions signalées dans le texte sacré : il se développe à la surface du sol, sans racines, et ne puise les principes solubles nécessaires à sa nutrition que par simple contact avec le sol