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PERGAME

aussi le centre d’un grand mouvement littéraire et scientifique. Elle fut transportée plus tard à Alexandrie, Antoine en ayant fait présent à Cléopâtre. Pline, H. N., iii, 2. Eumène donna également aux arts une impulsion considérable, et établit à Pergame une école de sculpture très illustre, qui posa la base de l’art dit pergaménien. La ville avait alors, comme autre source de richesses, la fabrication des parfums et des coupes d’argile, le travail de l’ivoire, la taille des pierres fines, et surtout la préparation des parchemins. À cette époque, en effet, on n’exportait pas encore les papyrus d’Égypte, et l’on se servait en Asie, pour les livres, de peaux de moutons, de chèvres et de veaux, auxquelles on faisait subir une préparation spéciale. Comme l’art de préparer ces peaux atteignit à Pergame une perfection particulière, on ne tarda pas à leur donner le nom de charta pergamenæ, qui subsiste encore sous la forme de « parchemin. » À la mort d’Eumène II, son frère Attale II prit les rênes du gouvernement, comme tuteur du jeune Attale III, fils du roi défunt. Il est question d’Attale II au premier livre des Machabées, xv, 22. Voir Attale II, t. i, col. 1227-1228. Attale III mourut sans héritier en 133, après avoir légué son royaume aux Romains, par un testament que Salluste soupçonne d’avoir été simulé, Histor., v ; cf. Horace, Od., II, xviii, 5, mais dont on reconnaît aujourd’hui la sincérité. — Ces divers princes battirent successivement monnaie, et Pergame continua ensuite, jusqu’à la fin du IIIe siècle de notre ère, d’user de ce privilège. Ses monnaies les plus courantes sont les cistophori, ainsi nommées parce qu’elles portaient gravée la cista mystica, avec d’autres objets rappelant le culte de Bacchus. On y voit aussi les insignes des trois autres grandes divinités de Pergame : Zeus, Athéné, Esculape.

Sous la domination romaine. — Après la mort d’Attale III, le royaume de Pergame fut incorporé à l’empire romain, sous le nom d’Asia propria, et, pendant deux siècles encore qusqu’en 129 de l’ère chrétienne), la ville demeura la capitale de la province. Strabon, XIII, vi, 23, l’appelle ἐπιφανὴς πολίς . Cf. Pline, H. N., v, 30. Elle était le siège d’un tribunal suprême ; elle avait à sa tête, comme d’autres villes d’Asie, un asiarque, sorte de magistrat municipal indépendant, qui présidait les fêtes civiles et religieuses. On y avait installé une école de médecine, dont sortit le célèbre Galien. Les Romains continuèrent les traditions artistiques des Attalides, et contribuèrent aussi beaucoup à orner soit l’acropole, soit la ville basse, qui leur durent de beaux monuments. Pergame ne demeura donc pas alors sans gloire, bien qu’Éphèse et Smyrne se fussent développées à ses dépens et l’eussent peu à peu rejetée dans l’ombre. Vers la fin du premier siècle après J.-C, à l’époque où fut composée l’Apocalypse, Éphèse lui ravit même, sinon officiellement, du moins dans l’appréciation populaire, son titre de capitale de la province ; c’est pour cela sans doute que Pergame n’est citée qu’au troisième rang parmi les sept églises, à la suite d’Éphèse et de Smyrne. Apoc. ii. Voir W. M. Ramsay, dans le Diction. of the Bible de Hastings, t. iii, p. 750-751. Au second siècle de notre ère, elle avait encore 120 000 habitants ; mais, plus tard, elle dépérit graduellement, surtout sous les empereurs byzantins. Elle compte aujourd’hui environ 14 500 habitants, Turcs, Grecs, Arméniens, etc.

III. Pergame et le christianisme. — Nous ignorons dans quelles circonstances spéciales le christianisme avait pénétré à Pergame. Ce fut peut-être dès l’époque de saint Paul. Cf. Act., xix, 10. Bu moins, le passage de l’Apocalypse qui la concerne suppose qu’elle possédait, à la fin du premier siècle, une chrétienté considérable, fervente et parfaitement organisée, bien que, malheureusement, la secte impure des Nicolaïtes, voir Nicolaïtes, t. iv, col. 1616-1617, y eût un certain nombre d’adhérents, comme à Éphèse. Apoc, II, 6. — Les interprètes se demandent, sans pouvoir se mettre entièrement d’accord, pourquoi, dans la lettre de saint Jean à « l’ange » de Pergame, cette ville est appelée à deux reprises, Apoc. ii, 13, « le trône (ou l’habitation) de Satan. » La pensée générale est claire : ces mots signifient évidemment que l’évêque de Pergame exerçait son ministère dans un endroit qui présentait des difficultés particulières ; mais il est difficile d’indiquer avec certitude le motif pour lequel Satan était censé avoir son siège à Pergame plutôt qu’ailleurs. — 1° D’après d’assez nombreux commentateurs, cela viendrait de ce que l’esprit de persécution, qui est vraiment un esprit satanique, Apoc. ii, 10, faisait alors rage à Pergame plus que dans aucune autre ville d’Asie ; un passage de la lettre, Apoc. ii, 13, mentionne le martyre du « témoin fidèle » Antipas. — 2° Une autre interprétation se rattache au culte vraiment extraordinaire dont le dieu Esculape fut l’objet à Pergame, à toutes les époques de son histoire, mais surtout sous la domination romaine. C’est, en effet, sous les Romains que fut bâti, dans la ville basse, aux frais de l’Asie entière, Philostrate, Apoll., i, i, le célèbre Asclépéion ou temple d’Esculape, dont les dépendances étaient considérables, et qui jouissait du droit d’asile. Les malades y accouraient de très loin, dans l’espoir d’obtenir des guérisons miraculeuses ; ils attendaient que le dieu leur dictât en songe des ordonnances infaillibles. Tacite, Ann., iii, 63 ; Pausanias, III, xxvi, 8.


21. — Monnaie de Pergame.

Tête d’Esculape à droite. — v° Serpent. ACKΛEΠIOY [CΩTH]POC.


Esculape était, d’après Martial, IX, XVI, 2, le pergamenus deus par excellence. Or, ce dieu avait pour emblème le serpent, comme on le voit par de nombreuses monnaies de l’antiquité (fig. 21). D’un autre côté, Satan est, dans la Bible, le « serpent antique ». Cf. Gen., iii, 1 sq. ; Apoc. xii, 9 ; xxii, 2, etc. — 3° Selon d’autres, l’allusion porterait spécialement sur ce fait que Pergame était devenue, dès le règne d’Auguste, un centre du culte rendu à Rome et aux empereurs. — 4° On a pensé aussi tout spécialement à l’autel gigantesque qui fut érigé en l’honneur de Zeus Soter sur le plateau de l’acropole, par les soins d’Eumène II, entre les années 183 et 174 avant J.-C. Il était tout entouré de colonnades, et avait près de 35 m. de long sur 37 m. de large. Sa façade extérieure était ornée d’un haut-relief qui représentait la lutte des géants avec les dieux, en souvenir des victoires que les Attalides avaient remportées sur les Galates (fig. 22). — 5° Enfin, et telle est peut-être l’interprétation la plus naturelle, on a supposé que si Pergame est appelée le « trône de Satan », ce n’est pas seulement pour un de ces motifs particuliers, mais surtout parce qu’elle était devenue chaque jour davantage, depuis le commencement du iiie siècle avant notre ère, un centre général d’idolâtrie. À côté du culte rendu à Rome et à l’empereur, à Esculape et à Jupiter, il y avait celui qu’on offrait à Athéna Polias Niképhoros, à Bacchus, à Vénus, etc., comme l’indiquent encore les ruines de vingt temples divers, échafaudés sur la montagne et éparpillés dans la ville basse. Par ce culte et par les orgies qui s’y associaient, Pergame était vraiment devenue le trône de Satan.

IV. État actuel des monuments de Pergame. — Jusqu’aux vingt dernières années du xixe siècle, les