Aller au contenu

Page:Dictionnaire de la conversation et de la lecture - Ed 2 - Tome 08.djvu/159

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

dont vingt-cinq volumes ont déjà été publiés, et qui en comprendront plus du double.

M. Alexandre Dumas, qui depuis quelques années déjà avait presque abandonné le drame pour la comédie, puis la comédie pour le roman, semble vouloir de nouveau reprendre sa place laissée vide au théâtre. L’Odéon prépare de lui un grand ouvrage. Le Théâtre-Français a donné sa petite comédie de Romulus, qui a réussi, en attendant La Jeunesse de Louis XIV et La Jeunesse de Louis XV, écrite tout entière en quatre jours, suivant la lettre de l’auteur à M. Arsène Houssaye ; la censure arrêta ces deux pièces : l’une a déjà été jouée néanmoins à Bruxelles. Mentionnons aussi Olympe de Clèves, reçue au vaudeville, et arrêtée comme les deux autres. Enfin, le célèbre romancier, qui sait combien il peut compter sur toutes les sympathies du public, n’a pas hésité à fonder un journal quotidien, destiné à entretenir ses lecteurs de ses projets, de ses idées, de ses intérêts. Ce journal qu’il a appelé Le Mousquetaire, du nom du plus populaire de ses ouvrages, continue la publication de ses Mémoires, commencée dans La Presse. Las d’enrichir les journaux quotidiens, il a voulu s’enrichir lui-même ; qu’il y prenne garde cependant ! il pourrait en être du journal de M. Alexandre Dumas comme du théâtre de M. Alexandre Dumas. Son nom, tout populaire qu’il est, pourrait ne pas suffire.

Après la révolution de Février, il., Alexandre Dumas, qui devait bien quelque chose à la dynastie déchue, mais dont les idées avaient toujours eu une tendance républicaine, s’était jeté dans le tourbillon politique qui entraînait alors tous les esprits. Il eut son journal : « La Liberté ». Il se présenta aux élections en qualité d’ouvrier de la pensée, préconisant l’aristocratie de l’intelligence, rappelant qu’il avait fait vivre nous ne savons plus combien de milliers d’ouvriers, depuis le chiffonnier qui apporte les éléments du papier jusqu’aux compositeurs, aux acteurs, etc. Au nombre de ses services, il mettait surtout celui d’avoir appris l’histoire à des millions d’individus par ses drames et ses romans. Ici le peuple souverain fut ingrat. Le nom d’Alexandre Dumas ne sortit pas de l’urne ; lui s’en vengea en écrivant l’histoire des événements qu’il ne pouvait pas aider à diriger. La Liberté était échappée de ses mains, il fit Le Mois, et il put dire avec orgueil : La Providence écrit, je tiens la plume !

M. Alexandre Dumas est de tous les écrivains de nos jours celui qui a été le plus discuté, le plus nié, le plus honni même. Il n’a presque pas publié de roman qui n’ait amené son pamphlet, presque pas fait jouer de drame qui n’ait produit son scandale. Ceux qui avaient passé leur vie à copier Racine l’ont accusé de dépouiller Schiller et Gœthe. Les petits génies méconnus, toujours prêts à se vanter d’un talent qu’ils n’ont pas, n’ont pu lui pardonner d’avouer franchement un talent qu’il avait. Chacun de ses collaborateurs lui a été reproché comme un crime par ces mêmes auteurs qui se mettent à quatre pour bâtir un vaudeville. Ses collaborateurs ont voulu s’essayer seuls, et l’absence du souffle vivificateur s’est toujours fait sentir. Style, originalité, imagination, on lui a refusé tout ; mais ces discussions stériles et ces accusations envieuses n’ont eu qu’un résultat, c’est de prouver que M. Alexandre Dumas est l’un des plus habiles romanciers et incontestablement le plus grand dramaturge de l’époque.

L. Louvet.

DUMAS fils (Alexandre), fils du précédent, romancier et auteur dramatique, est né à Paris, le 28 juillet 1824. Avant d’être le fils de ses œuvres, ou plutôt de son œuvre, l’auteur de la Dame aux Camélias était sûr d’obtenir auprès du public, par droit de naissance, la sympathie qu’il peut maintenant réclamer par droit de conquête. Lancé forcément, de bonne heure, dans tout ce que la littérature contemporaine possède d’hommes en vogue, M. Dumas fils n’avait rien de mieux à faire qu’à suivie la route qui s’ouvrait devant lui ; aussi le voyons-nous dès l’âge de seize ans, encore élève au collège Bourbon, signer de petites poésies, charmantes d’ailleurs, qu’il réunit plus tard en un volume, sous le titre modeste de Péchés de Jeunesse. 11 écrivit depuis un assez grand nombre de romans qui, sans sortir du cadre vulgaire, furent lus et goûtés. Nous citerons, entre autres, les Aventures de quatre Femmes et d’un Perroquet (6 vol.), Le Roman d’une Femme (4 vol.), Le docteur Servant (2 vol.), Antonine (2 vol.), La Vie à vingt ans (2 vol.), Trois Hommes forts (4 vol.), Césarine (1 vol.), Diane de Lys et Grangette (3 vol.), Tristan le Roux (S vol.), et un volume de Nouvelles.

Néanmoins, M. Dumas fils, intelligence vive, mais éclose avant l’âge et fatiguée de bonne heure, était toujours resté, faute d’études sérieuses, à l’état d’embryon littéraire, quand l’idée lui vint, à l’exemple de nos plus célèbres auteurs, qui mettent presque toujours

Leurs drames en romans et leurs romans en drames,

d’arranger pour le théâtre un de ses premiers ouvrages, le meilleur peut-être, dans lequel, sous le titre de La Dame aux Camélias, il avait retracé l’histoire de la grandeur, de la décadence et de la mort d’une courtisane longtemps célèbre. Grâce à un style élégant et simple, où la sobriété n’exclut pas l’originalité, grâce à quelques pages pleines de sentiment et de jeunesse, cette réhabilitation hasardée avait déjà obtenu, sous forme de volumes, un assez beau succès de cabinet de lecture, quand il résolut de le produire sur la scène, et bien lui en prit. Longtemps retenue par la censure sous le ministère de M. Léon Faucher, jouée enfin le 2 février 1852, au Vaudeville, sous l’administration de M. de Morny, à qui elle est dédiée, La Dame aux Camélias a, pendant cent représentations consécutives occupé victorieusement l’affiche, et ne l’a pas quittée sans laisser au public parisien des souvenirs encore brûlants. Succès d’esprit et de larmes, rien n’y a manqué. La nouveauté de l’idée, la hardiesse des situations, la curiosité de ceux qui avaient connu l’héroïne, une foule de mots heureux et de traits d’observation ingénieuse, tout a contribué à la réussite de l’ouvrage, et tout le monde a voulu s’initier aux mystères de cette classe exceptionnelle de la société que l’auteur, plus que tout autre peut-être, était à même de montrer dans son jour véritable. Bientôt la pièce, dont la vogue s’était fortifiée par une certaine opposition, a couru la province, non sans choquer la susceptibilité de quelques préfets, qui l’ont interdite. De là elle a passé à l’étranger, et Paris vient de la reprendre. Encouragé par ce triomphe, il. Dumas fit, comme pendant et contre-partie de La Dame aux Camélias, La Dame aux Perles, drame en cinq actes, que la censure a longtemps retenue, et qui a fini pourtant par être jouée au Gymnase (1853) sous le titre de Diane de Lys, avec quelques changements de personnages et de détails. Avant d’avoir obtenu un laissez-passer pour son œuvre l’auteur, en attendant la sanction du parterre, en avait fait un roman en quatre volumes, qui n’eut pas le succès qu’obtint justement la pièce. Le dernier ouvrage de M. Alexandre Dumas fils est une jolie nouvelle en deux volumes intitulée : Sophie Printemps. Il faut citer, en outre, plusieurs publications qui ont paru à diverses époques, sans avoir été jusque ici réunies en volumes, telles que La Ligue, dans La Gazette de France ; la Fronde, dans le même journal ; et Les Lettres d’un Provincial dans La Presse, formant en tout la valeur de sept à huit volumes. On peut voir par le nombre des publications du jeune auteur que le fils n’a point dégénéré du père, en fécondité du moins ; car, malgré des qualités solides et un talent réel, rien avant son drame ne l’avait encore signalé à l’attention sérieuse du public, et l’on peut dire, sans l’ombre de mauvais vouloir, que jusqu’à présent la réputation de M. Dumas fils commence à la première et finit à la cent soixantième représentation de La Dame aux Camélias.

Henri de Rochefort.