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Page:Dictionnaire de la langue française du seizième siècle-Huguet-Tome1.djvu/25

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préface

beaucoup plus tôt, l’excès avait soulevé des protestations[1], et, dans la deuxième moitié du siècle, l’invasion est très fortement combattue[2]. On la voit se ralentir de plus en plus, et parmi les intrus beaucoup sont sortis de l’usage avant la grande épuration du xviie siècle.

Les mots latins avaient pu facilement s’introduire dans les livres, à une époque où le latin était familier à tous les lettrés. Mais, évidemment, la plupart de ces mots restaient à la surface de la langue, ils n’y pénétraient pas, et le peuple les ignorait complètement. Ils sortaient aussi facilement qu’ils étaient entrés, sans laisser aucun vide, car on n’avait pas besoin d’eux.

Beaucoup n’étaient que des doublets et n’ajoutaient rien au sens du mot primitif : on voyait côte à côte pelerin et peregrin, sauveur et salvateur, vengeur et vindicateur, étincelle et scintille, cruauté et crudelité, vergogne et verecundie, coi et quiet, tiede et tepide, raisonner et ratiociner.

Ailleurs on peut voir, entre le latinisme et le mot français plus ancien, qui a triomphé, une communauté de radical et une complète équivalence de suffixe. Amaritude, claritude, nobilité, pallidité, castigation, radiation, nutriment, incredible n’ont pu déposséder amertume, clarté, noblesse, pâleur, châtiment, rayonnement, nourriture, incroyable.

    rels, qui sentent le vieux, mais le libre françois, comme dougé, tenve, empoour, dorne, bauger, bouger, et autres de telle sorte, Je vous recommande par testament que vous ne laissiez point perdre ces vieux termes, que vous les employiez et deffendiez hardiment contre des maraux, qui ne tiennent pas elegant ce qui n’est point escorché du latin et de l’italien, et qui aiment mieux dire collauder, contemner, blasmer, que louer, mespriser, blasmer ; tout cela c’est pour l’escolier de Limosin. » Les Tragiques, aux Lecteurs. — Comme le remarque M. Brunot (Hist. de la langue franç., II, 225), les trois mots blâmés par Ronsard avaient été employés par Marot. Ils l’ont été aussi par beaucoup d’autres écrivains : blasonner est dans Lemaire de Belges., le Loyal Serviteur, Baïf, etc ; collauder dans Collerye, Rabelais, Marguerite de Navarre, Baïf, etc. ; contemner dans Gringore, Calvin, Amyot, Pasquier, etc.

  1. On sait que, plusieurs années avant Rabelais, Geofroy Tory, dans son Champ fleury, tournait en dérision une phrase que nous retrouvons dans le discours de l’écolier Limousin : « Quand Escumeurs de Latin disent Despurnon la verbocination latiale, et transfreton la Sequane au dilucule et crepuscule, puis deambulon par les Quadrivies et Platees de Lutece, et comme verisimiles amorabundes captivon la benivolence de lomnigene et omniforme sexe feminin, me semble quilz ne se moucquent nullement de leurs semblables, mais de leur mesure Personne. » Je pense, comme M. Brunot, que Rabelais n’a pas emprunté cette phrase à Tory, mais que tous deux reproduisent une parodie dont nous n’avons pas d’autres traces et qui prouve qu’on se moquait couramment des latiniseurs.
    Sagon, dans le Rabais du caquet de Marot par le page de Sagon, reproche à Marot humile, expellé, fulgente, pharetre « et mille Que en son stile Marot usurpe cent fois ». Marot, il est vrai, avait commencé par reprocher à Sagon d’écorcher le latin. Sagon aurait pu noter dans Marot beaucoup d’autres latinismes : buccine, curvature, labilité, malivolence, mortifere, pristine, increper, etc.
  2. « Et n’y a rien qui nous perde tant en cela, sinon que la plus part de nous, nourris dés nostre jeunesse au Grec et au Latin, ayans quelque asseurance de nostre suffisance, si nous ne trouvons mot apoinct, faisons d’une parole bonne Latine, une tres-mauvaise en François : Ne nous advisans pas que ceste pauvreté ne provient de la disette de nostre langue, ains de nous mes-es et de nostre paresse. E. Pasquier, Lettres, II, 12. — Pasquier n’a contre le latin et le grec aucune hostilité de parti pris. Mais il veut qu’on en fasse un usage modéré. Nous devons, dit-il un peu auparavant, dans la même lettre, « nous aider mesmes du Grec et, du Latin, non pour les escorcher ineptement, comme fit sur nostre jeune aage Helisaine, dont nostre gentil Rabelais s’est mocqué fort à propos en la personne de l’escolier Limosin, qu’il introduit parlant à Pantagruel en un langage escorche-latin. Mais avec telle sobrieté, que… nous digerions et transformions doucement en nostre langue ce que trouverons pouvoir faire du Grec et Latin, et ce qui sera insolent, que le rejettions liberalement. »
    Henri Estienne se plaint très vivement des écorcheurs de latin : « Mais encores tout cela n’est que sucre, au pris de l’affectation qui se voit ès mots qu’on arrache du latin, desquels on ne sçauroit dire le nombre ; car chascun descharge sa cholere sur ce povre latin, quand il ne sçait à qui s’adresser : de sorte que je m’esbahi comment il est encores au monde, veu les coups de taille et d’estoc qu’il reçoit tous les jours. Voire n’est-il pas jusques aux femmes, qui ne se vueillent mesler de l’esgratigner, faulte de luy savoir pis faire. » Conformité du lang. franç. avec le grec, préface, p. 43.