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préface

Jusqu’ici, j’ai parlé seulement de ce qui n’existe plus. Ce sera naturellement le principal élément de ce dictionnaire. Mais si beaucoup de mots ont été éliminés, un grand nombre aussi ont subi des changements de sens qui doivent être enregistrés. De nouveaux besoins sont nés depuis le xvie siècle. Une partie des mots surabondants sont restés, les uns pour exprimer des idées nouvelles, les autres pour marquer distinctement des nuances qui, auparavant, étaient confondues dans une commune expression. Chaque siècle a travaillé à mettre en œuvre et à bien ordonner tous les matériaux, anciens ou nouveaux. Ce travail, auquel s’emploie toute la nation, dure encore et durera toujours, car jamais une langue vivante n’est immobile et définitivement fixée. Le désir d’être bien compris, d’employer des mots qui correspondent exactement aux choses, qui expriment la pensée sans possibilité d’équivoque, est une force toujours active, qui fait que tous, ignorants et lettrés, remanient sans cesse le vocabulaire, le modifient, le renouvellent, le précisent, toujours à la poursuite d’une perfection qui ne peut pas être atteinte.

Souvent, un même mot se présentant sous deux formes différentes, nous avons gardé les deux formes et nous nous en sommes servis pour marquer une distinction utile. Le xviie siècle disait encore s’asseoir sur une chaire de paille, et le prédicateur monte en chaise. Fantasque et fantastique s’employaient l’un pour l’autre au xvie siècle : nous ne pourrions plus dire aujourd’hui qu’un récit est fantasque, ou qu’un homme est fantastique. Les doublets loyal et legal étaient absolument équivalents, ainsi que loyauté et legalité. Nous en sommes venus maintenant non seulement à les distinguer, mais parfois même à les opposer l’un à l’autre. Nager a signifié naviguer, et quand il a remplacé le vieux verbe nouer, son doublet savant s’est trouvé là pour prendre sa place. On a employé autrefois confidence dans le sens de confiance : avoir confidence au médecin, aux remèdes. La distinction que nous avons établie entre les deux mots correspond bien à une distinction de deux idées. Dans venimeux et vénéneux les éléments sont exactement les mêmes. Vénéneux n’apparaît qu’au xvie siècle : jusque-là venimeux s’est dit des végétaux aussi bien que des animaux et conserve longtemps encore sa signification générale. Attaquer, venu d’Italie, trouve en face de lui le mot français attacher : pendant un certain temps on continue à dire attacher pour attaquer, et attache pour attaque, puis on habitue à donner aux nouveaux venus le sens qui leur était particulier dès leur entrée dans notre langue. Cap, mot d’emprunt, est le même mot que chef. Aussi pendant longtemps on a continué à appeler chef un promontoire, et inversement cap dans le sens de tête se trouve encore dans l’expression de pied en cap. Cueillette a eu autrefois, entre autres sens, celui de collecte, et l’on a dit la cueillette des impôts, des aumônes. Il serait facile d’allonger cette liste, qui pourrait comprendre beaucoup de nos doublets, tous ceux qui étaient encore confondus au xvie siècle et qu’on a distingués seulement après cette époque.

Pendant longtemps, on a vu confondus dans un même sens des mots qui avaient un radical commun.

Jet est le substantif verbal de jeter, et jeton est un dérivé du même radical. Autrefois jet a désigné un jeton pour compter : Je ne sçay conter ny get, ny à plume. Mon-