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Page:Dictionnaire de la langue française du seizième siècle-Huguet-Tome1.djvu/63

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xlix
préface

La complication est un peu plus grande pour le mot dessert. Au xvie siècle, le mot exprimait l’action de desservir : Au dessert du premier metz fut par elles melodieusement chanté un Epode. Rabelais, IV, 51. — Mais déjà il désignait aussi le résultat de l’action, les mots desservis, ce que l’on appelle maintenant la desserte : Le dessert des tables se donne aux assistans, nos repas faicts. Montaigne, II, 13. — L’on trouvait aussi déjà le sens actuel, le dernier service du repas, sens qui s’était formé par analogie. — Le mot desserte était, lui aussi arrivé à cette signification, qu’il n’a pas gardée : Il estoit defendu aux Naucratiens, mesmes és noces, de bailler de la desserte faicte d’œufs et de miel. G. Bouchet, 5e Seree.

Advenue signifiait arrivée : Je vous envoye le double d’un brief que le Sainct Pere a decretté n’a gueres pour l’advenue de l’Empereur. Rabelais, Lettres (III, p. 347). — Le mot se matérialise en passant à l’idée de moyen, quand il désigne la voie par laquelle on arrive : Caesar ayant traversé… un grand païs de bois par des advenues dont on ne se doutoit point, en surprit les uns par derriere, et assaillit les autres par devant au desprouveu. Amyot, César, 53. — Il ne reste plus rien du sens primitif quand le mot s’applique à une large voie, quelle qu’en soit la direction.

Voiture signifiait action de transporter, transport : La voitture des vivres en son camp par la mer estait longue, dangereuse, et de grande despense. Amyot, Marius, 15. — Le même mot s’emploie pour désigner le moyen de transport, quel qu’il soit : Je ne puis souffrir long temps… ny coche, ny litiere, ny bateau, et hay toute autre voiture que de cheval. Montaigne, III, G. — Pendant longtemps encore le mot voiture a conservé ce sens général.

Comme on le voit, ce passage de l’abstrait au concret est fort ancien, et la plupart du temps nous pouvons trouver les mots, au xvie siècle, avec les deux emplois différents. On rencontrerait même à cette époque et l’on a pu voir longtemps après certains sens matérialisés que nous n’avons plus.

Ainsi le mot religion avait pris une valeur concrète en s’appliquant aux personnes qui s’assemblent, qui s’associent pour des pratiques religieuses, pour l’observation d’une règle commune. Il désignait souvent les ordres religieux : Souvent il y avoit de l’envie entre les religions, et principalement entre les Cordeliers et Jacopins. H. Estienne, Apol. pour Her., ch. 36. — Le mot religion avait un autre sens concret : il signifiait couvent : Il s’enquist de sa façon de vivre, et trouva qu’elle alloit souvent aux églises et Religions. Marg. de Nav., Heptam., 16.

Le mot rencontre signifiait bien comme aujourd’hui l’action de rencontrer. Mais il désignait aussi l’apparence, l’aspect, la mine : Un grand riche homme qu’on appeloit Gilbert, fort gracieux et de bonne rencontre. Le Maçon, trad. de Boccace, Decameron, X, 5.

Mariage, outre son sens habituel, a pendant longtemps eu le sens de dot : Quelle femme estes-vous ? — Une pauvre pecheresse qui a trois pauvres filles à marier sur les bras, sans sçavoir où est le premier denier de leur mariage. Tournebu, les Contens, II, 2.

Heritage, en son sens propre, est bien aujourd’hui un mot concret : ce que l’en reçoit par succession. Mais il avait un sens concret plus précis, le sens qui convenait à une époque où l’immeuble était la propriété par excellence, celle qu’on se transmettait de père en fils. Il désignait la maison, la terre, le domaine : O bien-heureux celuy qui peut user son âge En repos, labourant son petit heritage. Ronsard, Poemes, L. II, Disc. au Card. de Chatillon.