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C’est Apelle qui marque en Grèce l’apogée de la peinture. Originaire de Colophon, il apparaît comme un artiste voyageur, qui s’attache aux meilleurs maîtres de son temps, et plus tard fréquente les rois, surtout Alexandre, dont il fit plusieurs portraits 1[1]. Le portrait, voilà, sinon la nouveauté, du moins la spécialité où il porte une curiosité et une recherche de la ressemblance que n’a connues aucun de ses devanciers 2[2]. Il ne néglige pas la mythologie, et son Aphrodite anadyomène, qui décorait à Cos le temple d’Esculape, fut un des tableaux les plus renommés de l’antiquité 3[3]. Il manifeste une sorte de prédilection pour les abstractions divinisées et pour les personnifications de phénomènes de la nature. À cette dernière catégorie appartiennent les figures de Bronté, d’Astrapè, de Kéraunobolia 4[4]. Son tableau de la Calomnie, dont Lucien nous a laissé une description minutieuse, surpassait de beaucoup en psychologie savante les œuvres de ce genre 5[5]. Il eut toujours un extrême souci du dessin : pas un seul jour ne s’écoulait qu’il ne s’exerçât la main à tracer de ces lignes souples et ténues dont il laissa un jour un si admirable spécimen dans l’atelier de Protogène 6[6]. L’anecdote est trop connue pour être rapportée ici 7[7]. Notons que ce fut Apelle qui mit en lumière la valeur de ce rival demeuré longtemps inconnu. Aujourd’hui les documents nous font défaut pour apprécier comme il conviendrait le talent de Protogêne. Son Ialysos, auquel il travailla sept ans, peut-être davantage, passait pour un chef-d’œuvre. C’était Rhodes qui le possédait, ainsi que le Satyre au repos du même artiste 8[8]. On admirait encore de Protogène la Paralos et l’Ammonias, deux des galères sacrées des Athéniens, et le Collège des Thesmothètes, qu’il avait peint pour la salle de délibération du Conseil des Cinq-Cents à Athènes 9[9]. C’était un praticien consciencieux, méticuleux, dont la lenteur laborieuse contrastait avec la brillante facilité d’Apelle. Il peignait a quatre couches, pour soustraire le plus possible ses œuvres aux injures du temps 10[10].

D’autres peintres méritent encore une brève mention, tels qu’Aëtion et Théon de Samos 11[11]. La peinture, à l’époque hellénistique, continue d’être en honneur, mais elle semble avoir acquis tout ce qu’elle pouvait acquérir, et si elle produit beaucoup, ce qu’elle produit reste banal comme sujet et comme procédé. Signalons en Égypte, sous Ptolémée Soter, Antiphilos, ennemi et détracteur d’Apelle 12[12], dont le Satyre aposkopeuon (dansant avec la main levée à la hauteur des yeux) excita en Italie, où il passa plus tard, une admiration qui paraît légitime 13[13]. Antiphilos cultiva aussi la caricature, qui remonte bien au delà des successeurs d’Alexandre, et dont l’histoire reste à écrire, malgré tous les travaux dont elle a été l’objet 14[14]. Ayant fait le portrait d’un certain Gryllos, dont l’extérieur prêtait à rire, ce tableau eut un tel succès. nous dit Pline, que les peintures de ce genre


furent désormais connues sous le nom de grylli 15[15].

Si l’on veut avoir une idée, non pas précisément de la peinture hellénistique, mais d’un art qui s’y rattache assez directement, il faut examiner les portraits, généralement sur tablette de sycomore,
Fig. 5646. — Peinture sur un panneau de bois.
découverts à différentes reprises en Égypte, dans le Fayoum. Ils étaient encastrés a la partie supérieure de la momie et figuraient les traits du mort dont elle conservait les restes. Le spécimen que nous en reproduisons (fig. 5646) en montre la valeur pour l’histoire de la peinture a l’époque gréco-romaine 16[16].

Technique de la peinture grecque. Polychromie de l’architecture et de la sculpture. — S’il est vrai que les vases peints sont une aide précieuse pour nous aider à comprendre les originaux perdus, il est essentiel de poser au préalable ce principe : la technique du décor céramique est, en général, bien différente de celle des tableaux. Ni les vases à figures noires ni les vases à figures rouges ne rendent l’aspect réel des fresques et des panneaux de marbre ou de bois peints, quand même les sujets y seraient identiques 17[17]. En effet, on n’a jamais dû peindre en figures noires comme on l’a fait si longtemps sur les poteries. Le noir s’est imposé au céramiste comme un élément essentiel et il a tout envahi, à cause de ses qualités à la cuisson, mais les peintres n’avaient aucune raison de lui accorder cette place prépondérante. De leur côté, les vases à figures rouges ont gardé. par la tonalité générale de l’argile rouge et la sobriété du dessin au trait noir, employé presque sans retouches, une physionomie fort éloignée de celle d’un tableau véritable. Mais, comme l’art industriel est toujours ramené vers le grand art qui est son modèle et son guide, certaines catégories de vases ont, dans le cours des temps, cherché à imiter de plus près la technique des peintres, par exemple dans le système du décor à fond blanc qui se fait jour dès le VIIe siècle 18[18] et qui s’épanouit au Ve avec la magnifique floraison des coupes et des lécythes polychromes 19[19]. Devant ces vases bariolés de vives couleurs, de rouge, de bleu, de jaune, de brun, de noir, où l’on reconnait en somme les « quattuor colores » dont parle Cicéron 20[20] et la tonalité simple, « simplex color », que loue Quintilien 21[21] chez les maîtres anciens 22[22], on a l’impression d’une véritable fresque. mais la technique est tout autre que celle des vases ordinaires : le noir même y diffère et les couleurs, comme le fond, sont beaucoup plus friables qu’ailleurs.

  1. 1 Horat. Ep. II, 1, 239 sq. ; Cic. Ep. Ad famil. V, 12, 13 ; Plin. Hist. nat. VII, 125 et XXXV, 92-93 ; Aelian. Var. hist. II, 3.
  2. 2. Plin. Hist. nat. XXXV, 90, 93, 96 ; Anth. Palat. IX, 595.
  3. 3 Plin. Hist. nat. XXXV, 91 ; cf, R. Meister, Das Gemaelde des Apelles im Asklepieion zu Kos (Festschr. für Overbeck, p. 109 sq.), et, pour l’ensemble de l’œuvre du maître, Wustmann, Apelles’Leben und Werke, Leipzig, 1870 ; Six, Jahrb d. Inst. 1905, p. 169.
  4. 4 Plin. Hist. nat. XXXV, 96.
  5. 5 Lucian. Calumn. non tem. cred. 4.
  6. 6. Plin. Hist. nat. XXXV, 84.
  7. 7. Id. Ibid. 81-83.
  8. 8 Strab. XIV, p. 652.
  9. 9 Plin. Hist. nat. XXXV, 101 ; Paus. I, 3, 5.
  10. 10 Plin. Hist. nat. XXXV, 80 et 102 ; Six, l. l. 1903, p. 34.
  11. 11 Id. Ibid. 78 ; Lucien. Herod. sive Aetion 4 ; Plut. De audiend. poet. 3 ; Aelian. Var. hist. II, 44.
  12. 12 Lucien. Calumn. non tem. cred. 2.
  13. 13 Plin. Hist. nat. XXXV, 114.
  14. 14 Cf. E. Pottier, Nécropole de Myrina, p. 476 sq.
  15. 15 Plin. Hist. nat. XXXV, 114.
  16. 16 Th. Graf, Portraits antiques de l’époque grecque en Égypte, no 21. Cf sur ces portraits la bibliographie donnée par P. Girard, Peint. ant. p. 332. et Jahrb. 1892, Arch. Anz. 4, p. 168 ; G. Ebers, Ant. Portraits, die hell. Bildnisse aus dem Fajjum, Leipzig, 1893 ; Ant. Denkm. II, pl. XIII.
  17. 17 Furtwaengler dans Berl. phil. Woch. 1894, p. 112 ; Furtwaengler-Reichhold, Griech. Vasenmal. I, p.152 ; Pottier dans Rev. étud. gr. 1898, p. 379 ; Catal. des vas. du Louvre, p. 579, 642, 666. L’idée contraire a inspiré à tort diverses restaurations de monuments antiques, comme celle de Laloux Monceaux, la Restaur. d’Olympie, planches aux pages 92, 94, 98, 156.
  18. 18 Pottier dans Bull. corr. hell. 1890 p. 378 ; Catal. des vas. du Louvre, p. 499, 501.
  19. 19 Voir la liste des coupes donnée par Hartwig, Meistersch. p. 499, I. 1 ; Pottier dans Monum. et mém. de la fondation Piot, II, p. 42, n. 2. Pour les lécythes, voir Pottier, Étude sur les lécythes blancs attiques, 1883.
  20. 20 Brutus, XVIII, 70.
  21. 21 Inst. or. XII, 10, 8.
  22. 22 Sur la polychromie de cette époque, cf. Pottier, Lécythes blancs, p. 131.