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Page:Dictionnaire pratique et historique de la musique.pdf/169

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parallèles qui semblent, au premier regard, se confondre, mais que le xve et le xvie s. achèvent à la fois d’enrichir et de séparer. Les formes liturgiques, qui atteignent leur perfection dans la messe et le motet à plusieurs voix, reposent sur le maintien de la modalité ecclésiastique, et sur la trituration contrepointique de thèmes grégoriens ou mondains. Les formes profanes se subdivisent, selon le génie de chaque peuple et de chaque langue, en frottoles, villanelles, canzonettes italiennes, agrandies peu à peu et ennoblies pour donner naissance au madrigal, en chansons françaises, variées de sentiment, de style et de dimensions, et contenant, sous un seul titre générique, les diversités les plus subtiles ; en lieder allemands, brefs et solides comme leurs pères, les chorals luthériens ; les formes instrumentales, enfin, dernières venues et constituées partie à l’aide de pièces vocales transcrites et partie d’après les rythmes de la danse, diversifiés dès lors presque à l’infini, selon les modes et les coutumes de chaque nation et dont l’influence se devine, plutôt qu’elle ne s’analyse, sur les transformations et les amalgames incessants des genres. À chaque époque et dans chaque direction, les maîtres qu’on a appelés à juste titre des artistes créateurs ont plus souvent pétri à nouveau, mélangé et refondu, ou élargi, ou modifié les formes antérieures, que réellement inventé, de toutes pièces, des formes nouvelles. À toutes celles qu’avaient cultivées les grands musiciens de la Renaissance, le xviie s. vint ajouter ou substituer les formes dramatiques ; l’obéissance aux exigences scéniques faisait prédominer, au lieu du contrepoint, le chant solo accompagné, au lieu de la polyphonie, la monodie. Ce que la subordination de la musique au geste avait imposé déjà de régularité aux dessins mélodiques, dans les formes issues de la danse, l’obligation de faire coïncider exactement les accords d’un orchestre avec les inflexions vocales de l’acteur en scène acheva d’imposer l’adoption de la barre de mesure, par laquelle bientôt toutes les formes mélodiques et harmoniques se trouvèrent alignées sous la discipline du temps fort et du temps faible. Cette loi générale régit uniformément, pendant près de trois siècles, et sans distinction de genres, tout le langage musical ; c’est l’âge des formes classiques, où la mélodie, qui conduit tout, se plie, non seulement au dénombrement égal et à l’accentuation convenue des temps dans chaque mesure, mais à l’obligation de la carrure, au groupement des mesures en périodes égales, et des périodes en reprises. La phrase musicale, comme le vers, se modèle sur des types fixes ; elle a ses rimes masculines et féminines, qui sont les terminaisons sur le temps fort ou le temps faible, sa césure, qui est la demi-cadence et la divise en hémistiches ; les phrases se combinent, comme les vers, sur des plans convenus, dont les deux principaux, celui de l’air avec da capo et de l’air en rondeau, passent du solo vocal au style instrumental et engendre le « premier morceau » de sonate ou de symphonie, et le rondo. On les schématise sous les abréviations A + B + A, qui signifie exposition, développement et reprise, ou exorde, démonstration et péroraison, et A + B + A + C + A, etc., qui représente le retour d’un fragment principal entre des fragments nouveaux, en nombre indéfini, soit le refrain et les couplets. Plus ou moins visiblement, les œuvres de toutes destinations, église, théâtre, concert ou chambre, s’érigent sur des fondations conformes à l’une ou l’autre de ces deux ordonnances. On admire, lorsqu’elles sont animées par la pensée d’un maître, la magnificence de leur symétrie, qui s’enraidit et se glace, dès que la nouveauté des détails n’en vient plus vivifier l’aspect. Aussi attachante que l’étude de leur constitution, est celle de l’effort par lequel les musiciens modernes se libèrent de leurs liens. Beethoven, qui porte à son apogée la beauté des formes classiques, remonte inconsciemment, pour les renouveler, à la source lointaine des formes scolastiques, de l’imitation, de la fugue, de la grande variation. Pour créer les formes libres où s’épanouira l’art moderne, dans la 9e Symphonie, dans la Messe en ré, dans les 33 variations sur un air de Diabelli, dans les dernières sonates et les derniers quatuors, il remonte, par-dessus les têtes de Mozart et de Haydn, jusqu’à Hændel, jusqu’à Bach, qu’il devine plus qu’il ne les connaît, jusqu’aux polyphonistes auxquels le rattache un mystérieux atavisme, jusqu’aux mélismes de la mélodie religieuse médiévale ; du creuset où se refondent et se condensent toutes les formes passées, jaillit la coulée incandescente de l’art nouveau. Pour continuer Beethoven, ses successeurs s’écartent de lui. Les deux grandes formes nouvelles créées dans le xixe s. ne procèdent pas, dans leur architecture générale, de ses œuvres, mais développent, ainsi qu’il avait fait, des germes plus anciens. La symphonie descriptive, ou à programme, de Berlioz ou de Liszt, pro-