Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/237

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— Eh bien ! il n’y a qu’à en faire.

— Et tu sais comme on en fait ?

— Sans doute. » Il s’habille, nous sortons, et il me conduit à travers plusieurs rues détournées dans une petite maison obscure, où nous montons par un petit escalier sale, à un troisième, où j’entre dans un appartement assez spacieux et singulièrement meublé. Il y avait entre autres choses trois commodes de front, toutes trois de formes différentes ; par-derrière celle du milieu un grand miroir à chapiteau trop haut pour le plafond, en sorte qu’un bon demi-pied de ce miroir était caché par la commode ; sur ces commodes des marchandises de toute espèce ; deux trictracs ; autour de l’appartement, des chaises assez belles, mais pas une qui eût sa pareille ; au pied d’un lit sans rideaux une superbe duchesse[1] ; contre une des fenêtres une volière sans oiseaux, mais toute neuve ; à l’autre fenêtre un lustre suspendu par un manche à balai, et le manche à balai portant des deux bouts sur les dossiers de deux mauvaises chaises de paille ; et puis de droite et de gauche des tableaux, les uns attachés aux murs, les autres en pile.

Jacques.

Cela sent le faiseur d’affaires d’une lieue à la ronde.

Le maître.

Tu l’as deviné. Et voilà le chevalier et M. Le Brun (c’est le nom de notre brocanteur et courtier d’usure) qui se précipitent dans les bras l’un de l’autre… « Eh ! c’est vous, monsieur le chevalier ?

— Et oui, c’est moi, mon cher Le Brun.

— Mais que devenez-vous donc ? Il y a une éternité qu’on ne vous a vu. Les temps sont bien tristes ; n’est-il pas vrai ?

— Très tristes, mon cher Le Brun. Mais il ne s’agit pas de cela ; écoutez-moi, j’aurais un mot à vous dire. »

Je m’assieds. Le chevalier et Le Brun se retirent dans un coin, et se parlent. Je ne puis te rendre de leur conversation que quelques mots que je surpris à la volée…

« Il est bon ?

— Excellent.

— Majeur ?

  1. Chaise longue