Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/112

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De l’autre côté, pour accroître et fortifier les principes de la vertu, il faut :

1° Ou nourrir et aiguiser, pour ainsi dire, le sentiment de droiture et de justice ;

2° Ou l’entretenir dans toute sa pureté ;

3° Ou lui soumettre toute autre affection.

Considérons maintenant quel est celui de ces effets, que chaque hypothèse concernant la divinité doit naturellement produire, ou tout au moins favoriser.


premier effet.
Priver la créature du sentiment naturel d’injustice et d’équité.


On ne nous soupçonnera pas sans doute d’entendre par « priver la créature du sentiment naturel d’injustice et d’équité, » effacer en elle toute notion du bien et du mal relatifs à la société. Car, qu’il y ait bien et mal, par rapport à l’espèce, c’est un point qu’on ne peut totalement obscurcir. L’intérêt public est une chose généralement avouée : et rien de mieux connu de chaque particulier, que ce qui les concerne tous en général. Ainsi, quand nous dirons qu’une créature a perdu tout sentiment de droiture et d’injustice, nous supposerons au contraire qu’elle est toujours capable de discerner le bien et le mal relatifs à son espèce, mais qu’elle y est devenue parfaitement insensible, et que l’excellence et la bassesse des actions morales n’excitent plus en elle ni estime, ni aversion : de sorte que, sans un intérêt particulier et des plus étroitement concentrés, qui vit toujours en elle et qui lui arrache quelquefois des jugements favorables à la vertu, on pourrait dire qu’elle n’affectionne dans les mœurs ni laideur ni beauté, et que tout y est, par rapport à elle, d’une monstrueuse uniformité.

Une créature raisonnable, qui en offense une autre mal à propos, sent que l’appréhension d’un traitement égal doit soulever contre elle le ressentiment et l’animosité de celles qui l’observent. Celui qui fait tort à un seul, se reconnaît intérieurement pour aussi odieux à chacun, que s’il les avait tous offensés.

Le crime trouve donc pour ennemi tous ceux qu’il alarme ; et par la raison des contraires, la vertu d’un particulier a droit à la bienveillance et aux récompenses de tout le monde. Ce senti-