Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/160

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craindre un diable, et non pas un Dieu. La crainte de l’enfer et toutes les terreurs de l’autre monde ne marquent de la conscience que quand elles sont occasionnées par un aveu intérieur des crimes que l’on a commis ; mais si la créature fait intérieurement cet aveu, à l’instant la conscience agit ; elle indique le châtiment, et la créature s’en effraie, quoique la conscience ne le lui rende pas évident.

La conscience religieuse suppose donc la conscience naturelle et morale. La crainte de Dieu accompagne toujours celle-là ; mais elle tire toute sa force de la connaissance du mal commis et de l’injure faite à l’Être suprême, en présence duquel, sans égard pour la vénération que nous lui devons, nous avons osé le commettre. Car la honte d’avoir failli aux yeux d’un être si respectable doit travailler en nous, même en faisant abstraction des notions particulières de sa justice, de sa toute-puissance et de la distribution future des récompenses et des châtiments.

Nous avons dit qu’aucune créature ne fait le mal méchamment et de propos délibéré, sans s’avouer intérieurement digne de châtiment ; et nous pouvons ajouter, en ce sens, que toute créature sensible a de la conscience. Ainsi le méchant doit attendre et craindre de tous ce qu’il reconnaît avoir mérité de chacun en particulier. De la frayeur de Dieu et des hommes naîtront donc les alarmes et les soupçons. Mais le terme de conscience emporte quelque chose de plus dans toute créature raisonnable ; il indique une connaissance de la laideur des actions punissables, et une honte secrète de les avoir commises. Il n’y a peut-être pas une créature parfaitement insensible à la honte des crimes qu’elle a commis ; pas une qui se recon-

    n’êtes-vous pas ferme dans la même assiette d’esprit ? Je ne sais, dites-vous, s’il me pardonnera les fautes passées, et j’en fais tous les jours de nouvelles. Êtes-vous encore méchant, j’approuve vos alarmes, et je suis étonné qu’elles ne soient pas continuelles. Mais n’êtes-vous plus injuste, menteur, fourbe, avare, médisant, calomniateur ? qu’avez-vous donc à craindre ? Si quelque ami, comblé de vos bienfaits, vous avait offensé, la sincérité de son retour vous laisserait-elle des sentiments de vengeance ? Point du tout. Or, celui que vous adorez est-il moins bon que vous ? votre Dieu est-il rancunier ? Non… Mais je vois à votre peu de confiance, que vous n’avez pas encore une juste idée de ce qui est moralement excellent. Vous ne connaissez pas ce qui convient ou ne convient pas à un être parfait. Vous lui prêtez des défauts dont l’honnête homme tâche de se défaire, et dont il se défait effectivement à mesure qu’il devient meilleur, et vous risquez de l’injurier, dans l’instant même où vous avez dessein de lui rendre hommage. (Diderot.)