Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/162

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de notre estime et de notre approbation, peut nous procurer des satisfactions réelles. Nous avons fait voir que celui qui, séduit par une religion absurde, ou entraîné par la force d’un usage barbare, a prostitué son hommage à des êtres qui n’ont de la vertu que le nom, doit, ou par l’inconstance d’une estime si mal placée, ou par les actions horribles qu’il sera forcé de commettre, perdre tout amour de la justice, et devenir parfaitement misérable ; ou, si la conscience n’est pas encore muette, passer des soupçons aux alarmes, marcher de trouble en trouble, et vivre en désespéré. Il est impossible qu’un enthousiaste furieux, un persécuteur plein de rage, un meurtrier, un duelliste, un voleur, un pirate, ou tout autre ennemi des affections sociales et du genre humain, suive quelques principes constants, quelques lois invariables dans la distribution qu’il fait de son estime, et dans le jugement qu’il porte des actions. Ainsi, plus il attise son zèle, plus il est entêté d’honneur ; plus il dégrade sa nature, plus son caractère est dépravé ; plus il prend d’estime et s’extasie d’admiration pour quelque pratique vicieuse et détestable, mais qu’il imagine grande, vertueuse et belle, plus il s’engage en contradictions, et plus insupportable de jour en jour lui deviendra son état. Car il est certain qu’on ne peut affaiblir une inclination naturelle, ou fortifier un penchant dénaturé, sans altérer l’économie générale des affections. Mais la dépravation du caractère étant toujours proportionnelle à la faiblesse des affections naturelles et à l’intensité des penchants dénaturés, je conclus que, plus on aura de faux principes d’honneur et de religion, plus on sera mécontent de soi-même, et plus, par conséquent, on sera misérable.

Ainsi, toutes notions marquées au coin de la superstition, tout caractère opposé à la justice et tendant à l’inhumanité, notions chéries, caractère affecté, soit par une fausse conscience, soit par un point d’honneur mal entendu, ne feront qu’irriter cette autre conscience honnête et vraie, qui ne nous passe rien, aussi prompte à nous punir de toute action mauvaise par ses reproches, qu’à nous récompenser de ses actes vertueux par son approbation et ses éloges. Si celui qui, sous quelque autorité que ce soit, commet un seul crime, était excusable de l’avoir commis, il pourrait se plonger, en sûreté de conscience, dans des abominations, telles qu’il ne les imagine peut-être pas sans