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AUX MÂNES
DE DIDEROT


Ô Diderot ! que de jours se sont écoulés déjà depuis que ton génie s’est éteint, depuis que l’obscurité de la tombe a couvert ta cendre inanimée ! et de tant d’amis à qui tu consacras tes veilles, à qui tu prodiguais et les ressources de ton talent et les richesses de ton imagination, aucun ne s’est encore occupé à t’élever un monument digne de la reconnaissance que te doivent l’amitié, ton siècle et l’avenir !

Quel est l’homme de lettres cependant dont l’éloge puisse être plus intéressant à transmettre à la postérité ? Il est vrai qu’il ne fit aucune découverte qui ait agrandi la sphère de nos connaissances, peut-être même n’a-t-il laissé après lui aucun ouvrage qui seul puisse le placer au premier rang de nos orateurs, de nos philosophes, de nos poëtes ; mais j’ose en appeler à tous ceux qui, capables de l’apprécier, eurent le bonheur de le connaître, en fut-il moins un des phénomènes les plus étonnants de la puissance de l’esprit et du génie ?

S’il est des hommes dont il importe à la gloire de l’esprit humain de conserver un souvenir fidèle, ce sont ceux qui eurent des droits réels à l’estime, à l’admiration publique, mais à qui des circonstances particulières, je ne sais quelle fatalité attachée à leur destinée, n’ont jamais permis de développer toute la force, toute l’étendue de leurs facultés. Quel éloge de Virgile pourrait ajouter encore à l’idée que nous en a laissée l’Énèide ? quel éloge de Racine à l’idée que nous en donne Phèdre ou Athalie ? Mais combien de sages également révérés et du siècle qui les vit naître et des siècles qui lui ont succédé, dont la mémoire eût été perdue pour nous, si elle n’avait pas été consacrée par les hommages de leurs contemporains !