Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/272

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et qu’on entre dans le détail de leurs générations et de leurs aventures.

39. On dit de l’un, par exemple, que le souverain lui commanda d’égorger son propre fils, et que le père était sur le point d’obéir, lorsqu’un valet de pied apporta la grâce de l’innocent ; de l’autre, que son gouverneur lui trouva, en abreuvant son cheval, une maîtresse fort jolie ; de celui-ci, qu’il trompait son double beau-père, après avoir trompé son propre père et son frère aîné, couchait avec les deux sœurs et puis avec leurs chambrières, et un autre avec la femme de son fils ; de celui-là qu’il fit fortune en devinant des énigmes, et rendit sa famille opulente dans les terres d’un seigneur dont il était l’intendant ; de presque tous, qu’ils avaient de beaux songes, voyaient des étoiles en plein minuit, étaient sujets à rencontrer des esprits, et se battaient courageusement contre des lutins. Telles furent les grandes choses que le vieux berger transmit à la postérité.

40. Quant au code, en voici les principaux articles. J’ai dit que la tache noire nous avait tous rendus odieux au prince. Devine ce qu’on fit pour recouvrer ses faveurs qu’on avait si singulièrement perdues ? une chose plus singulière encore, on coupa à tous les enfants une dragme et deux scrupules de chair, opération dont je t’ai déjà parlé, et l’on se condamna à manger tous les ans en famille une galette sans beurre ni sel, avec une salade de pissenlits sans huile. Autre redevance payable chaque semaine, c’était d’en passer un jour les bras liés derrière le dos. Ordre à chacun de se pourvoir d’un bandeau et d’une robe blanche, et de la laver, sous peine de mort, dans du sang d’agneau et de l’eau claire : tu vois que l’origine des bandeaux et des robes blanches est fort ancienne. Il y avait à cet effet, dans le régiment, des compagnies de bouchers et de porteurs d’eau. Dix petites lignes d’écriture renfermaient tous les ordres du prince ; le guide de nos fugitifs en fit la publication, puis les serra dans un coffre de bois de palissandre, qui, pour rendre des oracles, ne le cédait en rien au trépied de la sibylle de Delphes. Le reste est un amas de règles arbitraires sur la forme des tuniques et des manteaux, l’ordonnance des repas, la qualité des vins, la connaissance des viandes de facile ou dure digestion, le temps de la promenade, du sommeil, et d’autres choses qu’on fait quand on ne dort pas.