Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/278

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assez sots pour s’imaginer qu’ils voient des prodiges lorsqu’ils n’en voient point ; mais on ne pensera jamais qu’il y en ait d’assez hébétés pour se refuser à des prodiges aussi éclatants que ceux que vous racontez. Il faut avouer que votre pays produit des hommes qui ne ressemblent en rien aux autres hommes de la terre. On voit chez vous ce que l’on ne voit point ailleurs. »

53. Ménippe admirait la crédulité de ces bonnes gens qui lui paraissaient des fanatiques du premier ordre. Mais pour satisfaire pleinement sa curiosité, il ajouta d’un ton qui semblait désavouer ses derniers mots : « Ce que je viens d’entendre me semble si merveilleux, si étrange, si neuf, que j’aurais un extrême plaisir à connaître plus à fond tout ce qui concerne votre chef. Vous m’obligerez de m’en instruire. Un homme si divin mérite certainement que tout l’univers soit informé des moindres actions de sa vie… »

54. Aussitôt Marc, un des premiers colons de l’allée des épines, se flattant peut-être de faire un soldat de Ménippe, se mit à narrer en détail toutes les prouesses de son colonel, comment il était né d’une vierge, comment les mages et les pasteurs avaient reconnu sa divinité dans les langes ; et les prodiges de son enfance et ceux de ses dernières années, sa vie, sa mort, sa résurrection. Rien ne fut oublié. Marc ne s’en tint pas aux actions du fils de l’homme (c’est ainsi que son maître daignait quelquefois s’appeler, lors surtout qu’il y avait du danger à prendre des titres fastueux), il déduisit ses discours, ses harangues et ses maximes ; enfin l’instruction fut complète, et sur l’histoire et sur les lois.

55. Après que Marc eut cessé de parler, Ménippe, qui l’avait écouté patiemment et sans l’interrompre, prit la parole et continua, mais d’un ton à lui annoncer combien il était peu disposé à augmenter sa recrue… « Les maximes de votre chef, lui dit-il, me plaisent. Je les trouve conformes à celles qu’ont enseignées tous les hommes sensés qui ont paru sur la terre plus de quatre cents ans avant lui. Vous les débitez comme nouvelles, et elles le sont peut-être pour un peuple imbécile et grossier ; mais elles sont vieilles pour le reste des hommes. Elles me suggèrent toutefois une pensée qu’il faut que je vous communique : c’est qu’il est étonnant que celui qui les prêchait