Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/374

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d’autres éléments essentiels qu’il ne fait point entrer en compte, soit parce qu’il les néglige volontairement, soit parce qu’ils lui sont inconnus. Il détermine ensuite la courbe du rayon. Est-elle autre dans la nature que son calcul ne la donne ? ses suppositions sont incomplètes ou fausses. Le rayon prend-il la courbe déterminée ? il s’ensuit de deux choses l’une ou que les suppositions se sont redressées, ou qu’elles sont exactes mais lequel des deux ? Il l’ignore : cependant voilà toute la certitude à laquelle il peut arriver.

J’ai parcouru les Éléments d’algèbre de Saunderson, dans l’espérance d’y rencontrer ce que je désirais d’apprendre de ceux qui l’ont vu familièrement, et qui nous ont instruits de quelques particularités de sa vie  ; mais ma curiosité a été trompée ; et j’ai conçu que des éléments de géométrie de sa façon auraient été un ouvrage plus singulier en lui-même et beaucoup plus utile pour nous. Nous y aurions trouvé les définitions du point, de la ligne, de la surface, du solide, de l’angle, des intersections des lignes et des plans, où je ne doute point qu’il n’eût employé des principes d’une métaphysique très abstraite et fort voisine de celle des idéalistes. On appelle idéalistes ces philosophes qui, n’ayant conscience que de leur existence et des sensations qui se succèdent au dedans d’eux-mêmes, n’admettent pas autre chose : système extravagant qui ne pouvait, ce me semble, devoir sa naissance qu’à des aveugles ; système qui, à la honte de l’esprit humain et de la philosophie, est le plus difficile à combattre, quoique le plus absurde de tous. Il est exposé avec autant de franchise que de clarté dans trois dialogues[1] du docteur Berkeley, évêque de Cloyne  : il faudrait inviter l’auteur de l’Essai[2] sur nos connaissances à examiner cet ouvrage ; il y trouverait matière à des observations utiles, agréables, fines, et telles, en un mot, qu’il les sait faire. L’idéalisme mérite bien de lui être dénoncé ; et cette hypothèse a de quoi le piquer, moins encore par sa singularité que par la difficulté de la réfuter dans ses principes ; car ce sont précisément les mêmes que ceux de Berkeley. Selon l’un et

  1. Dialogues entre Hylas et Philomoüs (1713), traduits par l’abbé Gua de Malvin, Amsterdam (Paris) 1750.
  2. Condillac dont l’Essai sur l’origine des connaissances humaines venait de paraître (1746) anonyme.