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À MON FRÈRE


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Oui, mon frère, la religion bien entendue et pratiquée avec un zèle éclairé, ne peut manquer d’élever les vertus morales. Elle s’allie même avec les connaissances naturelles ; et quand elle est solide, les progrès de celles-ci ne l’alarment point pour ses droits. Quelque difficile qu’il soit de discerner les limites qui séparent l’empire de la foi de celui de la raison, le philosophe n’en confond pas les objets : sans aspirer au chimérique honneur de les concilier, en bon citoyen il a pour eux de l’attachement et du respect. Il y a, de la philosophie à l’impiété, aussi loin que de la religion au fanatisme ; mais du fanatisme à la barbarie, il n’y a qu’un pas. Par barbarie, j’entends, comme vous, cette sombre disposition qui rend un homme insensible aux charmes de la nature et de l’art, et aux douceurs de la société. En effet, comment appeler ceux qui mutilèrent les statues qui s’étaient sauvées des ruines de l’ancienne Rome, sinon des barbares ? Et quel autre nom donner à des gens qui, nés avec cet enjoûment qui répand un coloris de finesse sur la raison, et d’aménité sur les vertus, l’ont émoussé, l’ont perdu, et sont parvenus, rare et sublime effort ! jusqu’à fuir comme des monstres ceux qu’il leur est ordonné d’aimer ? Je dirais volontiers que les uns et les autres n’ont connu de la religion que le spectre. Ce qu’il y a de vrai, c’est qu’ils ont eu des terreurs paniques, indignes d’elle ; terreurs qui furent jadis fatales aux lettres, et qui pouvaient le devenir à la religion même. « Il est certain qu’en ces premiers temps, dit Montaigne, que nostre religion commencea de gaigner auctorité avecques