Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/98

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Si l’on remarquait dans la nature une espèce qui fût incommode à toute autre, cette espèce, mauvaise relativement au système général, serait mauvaise en elle-même. De même, dans chaque espèce d’animaux ; par exemple, dans l’espèce humaine, si quelque individu est d’un caractère pernicieux à tous ses semblables, il méritera le nom de mauvais dans son espèce.

Je dis d’un caractère pernicieux ; car un méchant homme, ce n’est ni celui dont le corps est couvert de peste, ni celui qui, dans une fièvre violente, s’élance, frappe et blesse quiconque ose l’approcher. Par la même raison, je n’appellerai point honnête homme celui qui ne blesse personne, parce qu’il est étroitement garrotté, ou, ce qui revient à cet état, celui qui n’abandonne ses mauvais desseins que par la crainte d’un châtiment ou par l’espoir d’une récompense.

Dans une créature raisonnable , tout ce qui n’est point fait par affection n’est ni mal ni bien : l’homme n’est bon ou méchant que lorsque l’intérêt ou le désavantage de son système est l’objet immédiat de la passion qui le meut.

Puisque l’inclination seule rend la créature méchante ou bonne, conforme à sa nature, ou dénaturée, nous allons maintenant examiner quelles sont les inclinations naturelles et bonnes, et quelles sont les affections contraires à sa nature, et mauvaises.

SECTION II.

Remarquez d’abord que toute affection, qui a pour objet un bien imaginaire, devenant superflue et diminuant l’énergie de celles qui nous portent aux biens réels, est vicieuse en elle-même, et mauvaise relativement à l’intérêt particulier et au bonheur de la créature.

Si l’on pouvait supposer que quelqu’un de ces penchants qui entraînent la créature à ses intérêts particuliers, fût, dans son énergie légitime, incompatible avec le bien général, un tel penchant serait vicieux. Conséquemment à cette hypothèse, une créature ne pourrait agir conformément à sa nature, sans être mauvaise dans la société ; ou contribuer aux intérêts de la société, sans être dénaturée par rapport à elle-même. Mais si le penchant à ses intérêts privés n’est injurieux à la société que quand il est excessif, et jamais lorsqu’il est tempéré, nous dirons I