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malheureuse. » Et les tentatives de ce genre, il ne les a point épargnées.

S’il y a quelques obscurités, ce que nous n’avons pas remarqué pour notre compte, il faut penser que les Abraham Chaumeix, les Fréron, les Palissot, les Moreau étaient à l’affût et qu’il était bon de ne leur pas fournir bénévolement des armes. En soumettant leur science et leur sagacité à une épreuve un peu difficile, Diderot savait qu’ils ne le comprendraient pas et qu’il ne parlait en réalité qu’à ses véritables clients : les philosophes.

C’est grâce à cette habileté permise qu’il dut de n’être attaqué que faiblement par ses ennemis. On répéta le : Jeune homme, prends et lis, sur tous les tons ; les Petites Lettres sur les grands philosophes, les Mémoires sur les Cacouacs et leur Catéchisme, la Dunciade et toutes ces satires plus bêtes encore que méchantes, raillèrent, appelèrent Diderot Lycophron, mais ne purent trouver matière à une accusation méritant la Bastille.

En fait d’appréciations contemporaines, laissant de côté ces pamphlets que Diderot ne lisait pas, nous renverrons seulement à l’article de la Correspondance de Grimm, enthousiaste à la fois du fond et de la forme des Pensées, et à Clément, juge en général impartial, mais bourgeoisement attardé, qui écrit : « Vous trouverez là, tantôt un verbiage ténébreux aussi frivole que savant, tantôt une fausse suite de réflexions à bâtons rompus ; mais si vous avez le courage de suivre l’auteur dans sa caverne, elle pourra s’éclairer de temps en temps de quelques lueurs heureuses… Quel dommage que cet écrivain, à qui on ne peut refuser une abondance d’idées, une sagacité rare et beaucoup plus de lumières qu’il n’appartient à un seul homme, soit encore si merveilleux, si hérissé, si désespérément métaphysicien ! »

Dans les notes qui sont jointes au catalogue, de sa bibliothèque (Bibliothèque de l’Arsenal), M. le marquis de Paulmy s’exprime ainsi : « Ce livre hardi est plus métaphysique que physique. C’est dans cet ouvrage que Diderot attaque le Système de la Nature, de Maupertuis, qui n’avait encore paru qu’en latin sous le nom d’un professeur d’Erlangen. Cette attaque et quelques autres l’obligèrent à se découvrir et à faire imprimer en français sa Vénus physique[1]. »

Voltaire ne paraît pas avoir eu connaissance des Pensées sur l’interprétation de la Nature. Il n’aurait point été satisfait de la pointe finale contre les newtoniens, et, au nom du déisme, il aurait protesté comme son ami Frédéric. Il est probable, d’ailleurs, qu’il n’aurait pas compris grand’chose à ces vues d’ensemble et à ce style si nourri, si simplement majestueux.

  1. Il y a là une erreur : la Vénus physique avait paru en 1745 et avait été réfutée dès 1746, par Basset des Rosiers, sous le titre d’Anti-Vénus physique.