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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/194

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dans l’ordre esthétique ; nous ne pouvons refuser la seconde à l’utile ; la troisième sera pour l’agréable ; et nous reléguerons au rang infime celle qui ne rend ni plaisir ni profit.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Jusque-là je puis être de votre avis sans rougir. Où cela nous mènera-t-il ?

BORDEU.

Vous l’allez voir : mademoiselle, pourriez-vous m’apprendre quel profit ou quel plaisir la chasteté et la continence rigoureuse rendent, soit à l’individu qui les pratique, soit à la société ?

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Ma foi, aucun.

BORDEU.

Donc, en dépit des magnifiques éloges que le fanatisme leur a prodigués, en dépit des lois civiles qui les protègent, nous les rayerons du catalogue des vertus, et nous conviendrons qu’il n’y a rien de si puéril, de si ridicule, de si absurde, de si nuisible, de si méprisable, rien de pire, à l’exception du mal positif, que ces deux rares qualités…

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

On peut accorder cela.

BORDEU.

Prenez-y garde, je vous en préviens, tout à l’heure vous reculerez.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Nous ne reculons jamais.

BORDEU.

Et les actions solitaires ?

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Eh bien ?

BORDEU.

Eh bien, elles rendent du moins du plaisir à l’individu, et notre principe est faux, ou…

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Quoi, docteur !…

BORDEU.

Oui, mademoiselle, oui, et par la raison qu’elles sont aussi indifférentes, et qu’elles ne sont pas aussi stériles. C’est un