Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/215

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pleurez ; mais que ce soit de l’arrivée et non du départ de ces hommes ambitieux, corrompus et méchants. Un jour vous les connaîtrez mieux, un jour ils viendront, un crucifix dans une main et le poignard dans l’autre, vous égorger ou vous forcer à prendre leurs mœurs et leurs opinions ; un jour vous serez sous eux presque aussi malheureux qu’eux.

M. de Bougainville embarqua avec lui un jeune habitant du pays ; à la première terre que le Taïtien aperçut, il crut que c’était la patrie du voyageur. Aotourou, c’est le nom du Taïtien, n’a cessé de soupirer après son pays et M. de Bougainville l’a renvoyé, après avoir fait toute la dépense et pris toutes les précautions possibles pour la sûreté de son voyage. Aotourou, que tu seras content de revoir ton père, ta mère, tes frères, tes sœurs, ta maîtresse et tes compatriotes ! que leur diras-tu de nous ?

Les Taïtiens laissent croître leurs ongles à tous les doigts, excepté à celui du milieu de la main droite.

Le chevalier de Bournaud[1], compagnon de voyage de M. de Bougainville, avait un domestique appelé Barré. À la descente dans l’île de Taïti, les Taïtiens entourent Barré, crient que c’est une femme, et se disposent à lui faire les honneurs de l’île. Barré était en effet une fille qui, née en Bourgogne et orpheline, s’était déguisée en homme et avait été séduite par le désir de faire le tour du monde. Elle n’était ni laide ni jolie ; elle avait vingt-six à vingt-sept ans, et elle avait montré pendant tout le voyage le plus grand courage et la plus scrupuleuse sagesse.

M. de Bougainville loue beaucoup les moyens par lesquels les Hollandais se sont assuré le commerce général des épices, la cannelle, le gérofle[2] et la muscade ; d’abord en achetant les feuilles des arbres qui, dépouillés pendant trois ans, ne manquaient pas de périr, ensuite en détruisant les plants au loin et les renfermant dans une enceinte assez étroite pour être gardée. La première tentative pour leur enlever cette richesse réussira ; et ce qui doit étonner, c’est que la chose n’ait pas été faite en moins de deux ans.

Le voyage de M. de Bougainville est suivi d’un petit voca-

  1. Enseigne de vaisseau.
  2. On dit plus communément girofle ; cependant les deux formes ont toujours été employées parallèlement.