Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/216

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bulaire taïtien où l’on voit que l’alphabet de ce peuple n’a ni b, ni c, ni d, ni f, ni g, ni q, ni x, ni y, ni z, ce qui explique pourquoi Aotourou, qui était dans un certain âge, ne put jamais apprendre à parler notre langue, où il y avait trop d’articulations étrangères et trop de sons nouveaux pour ses organes inflexibles.

Après le vocabulaire, on trouve quelques observations de M. Peirère, interprète du roi, qui achève de justifier le jeune Taïtien.

Voilà le seul voyage dont la lecture m’ait inspiré du goût pour une autre contrée que la mienne. Jusqu’à présent le dernier résultat de mes réflexions avait toujours été qu’on n’était nulle part mieux que chez soi, résultat que je croyais le même pour chaque habitant de la terre en particulier, effet naturel de l’attrait du sol, attrait qui tient aux commodités dont on jouit, et qu’on n’a pas la même certitude de retrouver ailleurs. Un habitant de Paris n’est pas aussi convaincu qu’il y ait des épis de blé dans la campagne de Rome que dans les champs de la Beauce.

Je parlerai, à l’occasion du voyage de M. Anquetil[1] aux Indes, de l’esprit de voyage dont je ne suis pas grand admirateur, et j’en dirai mes raisons. Je ne me suis point étendu sur les détails les plus importants de ce tour du monde, parce qu’ils consistent presque entièrement en observations nautiques, astronomiques et géographiques, aussi essentielles à la connaissance du globe et à la sûreté de la navigation que les récits qui remplissent la plupart des autres voyageurs le sont à la connaissance de l’homme, mais moins amusants que ceux-ci. Pour en profiter, il faut recourir à l’ouvrage même de M. de Bougainville, auquel je renvoie, et dont j’avertis qu’on ne profitera guère sans être familier avec la langue des marins auxquels il me paraît que l’auteur l’a spécialement destiné, à en juger par le peu de soins qu’il a pris d’en rendre la lecture facile aux autres.

  1. Il y a, dans la Correspondance de Grimm (janvier 1772), un article sur le Voyage dans l’Inde d’Anquetil-Duperron, qui accompagnait sa traduction du Zend-Avesta publiée en 1771. Dans cet article Zoroastre est traité « d’insigne radoteur ; » on ajoute : « Il est évident que c’est perdre sa vie bien inutilement et bien laborieusement que d’aller à l’extrémité du globe chercher un recueil de sottises. » Diderot s’est expliqué moins dédaigneusement, sur le Zend-Avesta, dans l’Encyclopédie. Cela nous paraît démontrer qu’il écrivait le morceau ci-dessus avant d’avoir eu connaissance de l’article de Grimm qui l’a empêché de faire le sien sur Anquetil.