Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/231

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

remarqué en elles quelques défauts qui leur attirent ton dédain. Mais quand cela serait, le plaisir d’honorer une de mes filles, entre ses compagnes et ses sœurs, et de faire une bonne action, ne te suffirait-il pas ? Sois généreux !

L’AUMÔNIER.

Ce n’est pas cela : elles sont toutes quatre également belles ; mais ma religion ! mais mon état !

OROU.

Elles m’appartiennent, et je te les offre : elles sont à elles, et elles se donnent à toi. Quelle que soit la pureté de conscience que la chose religion et la chose état te prescrivent, tu peux les accepter sans scrupules. Je n’abuse point de mon autorité ; et sois sûr que je connais et que je respecte les droits des personnes.

Ici, le véridique aumônier convient que jamais la Providence ne l’avait exposé à une aussi pressante tentation. Il était jeune ; il s’agitait, il se tourmentait ; il détournait ses regards des aimables suppliantes ; il les ramenait sur elles ; il levait ses mains et ses yeux au ciel. — Thia, la plus jeune, embrassait ses genoux et lui disait : Étranger, n’afflige pas mon père, n’afflige pas ma mère, ne m’afflige pas ! Honore-moi dans la cabane et parmi les miens ; élève-moi au rang de mes sœurs qui se moquent de moi. Asto l’aînée a déjà trois enfants ; Palli, la seconde, en a deux, et Thia n’en a point ! Étranger, honnête étranger, ne me rebute pas ! rends-moi mère ; fais-moi un enfant que je puisse un jour promener par la main, à côté de moi, dans Taïti ; qu’on voie dans neuf mois attaché à mon sein ; dont je sois fière, et qui fasse une partie de ma dot, lorsque je passerai de la cabane de mon père dans une autre. Je serai peut-être plus chanceuse avec toi qu’avec nos jeunes Taïtiens. Si tu m’accordes cette faveur, je ne t’oublierai plus ; je te bénirai toute ma vie ; j’écrirai ton nom sur mon bras et sur celui de ton fils ; nous le prononcerons sans cesse avec joie ; et, lorsque tu quitteras ce rivage, mes souhaits t’accompagneront sur les mers jusqu’à ce que tu sois arrivé dans ton pays.

Le naïf aumônier dit qu’elle lui serrait les mains, qu’elle attachait sur ses yeux des regards si expressifs et si touchants ; qu’elle pleurait ; que son père, sa mère et ses sœurs s’éloignèrent ; qu’il resta seul avec elle, et qu’en disant : Mais ma reli-