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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/247

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cheval, laisse périr son enfant sans secours, et appelle le médecin pour son bœuf.

OROU.

Je n’entends pas trop ce que tu viens de dire ; mais, à ton retour dans ta patrie si bien policée, tâche d’y introduire ce ressort ; et c’est alors qu’on y sentira le prix de l’enfant qui naît, et l’importance de la population. Veux-tu que je te révèle un secret ? mais prends garde qu’il ne t’échappe. Vous arrivez : nous vous abandonnons nos femmes et nos filles ; vous vous en étonnez ; vous nous en témoignez une gratitude qui nous fait rire : vous nous remerciez, lorsque nous asseyons sur toi et sur tes compagnons la plus forte de toutes les impositions. Nous ne t’avons point demandé d’argent ; nous ne nous sommes point jetés sur tes marchandises ; nous avons méprisé tes denrées : mais nos femmes et nos filles sont venues exprimer le sang de tes veines. Quand tu t’éloigneras, tu nous auras laissé des enfants : ce tribut levé sur ta personne, sur ta propre substance, à ton avis, n’en vaut-il pas bien un autre ? Et si tu veux en apprécier la valeur, imagine que tu aies deux cents lieues de côtes à courir, et qu’à chaque vingt milles on te mette à pareille contribution. Nous avons des terres immenses en friche ; nous manquons de bras ; et nous t’en avons demandé. Nous avons des calamités épidémiques à réparer ; et nous t’avons employé à réparer le vide qu’elles laisseront. Nous avons des ennemis voisins à combattre, un besoin de soldats ; et nous t’avons prié de nous en faire : le nombre de nos femmes et de nos filles est trop grand pour celui des hommes ; et nous t’avons associé à notre tâche. Parmi ces femmes et ces filles, il y en a dont nous n’avons pu obtenir d’enfants ; et ce sont celles que nous avons exposées à vos premiers embrassements. Nous avons à payer une redevance en hommes à un voisin oppresseur ; c’est toi et tes camarades qui nous défrayerez ; et dans cinq ou six ans, nous lui enverrons vos fils, s’ils valent moins que les nôtres. Plus robustes, plus sains que vous, nous nous sommes aperçus que vous nous surpassiez en intelligence ; et, sur-le-champ, nous avons destiné quelques-unes de nos femmes et de nos filles les plus belles à recueillir la semence d’une race meilleure que la nôtre. C’est un essai que nous avons tenté, et qui pourra nous réussir. Nous avons tiré de toi et des tiens le seul parti que nous en pouvions