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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/311

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également au chien, à la belette, à l’huître, au dromadaire ? Si Jean-Jacques nie ce syllogisme, il a tort ; s’il le trouve frivole, il pourrait bien avoir raison.

Descartes avait dit : « Je pense, donc j’existe. »

Helvétius veut qu’on dise : « Je sens, donc je veux sentir agréablement. »

J’aime mieux Hobbes qui prétend que pour tirer une conséquence qui menât à quelque chose, il fallait dire : « Je sens, je pense, je juge, donc une portion de matière organisée comme moi peut sentir, penser et juger. »

En effet, si après cette première enjambée on en fait une seconde, on est déjà bien loin.

Qui croirait qu’après une marche aussi franche et aussi ferme, le dernier de ces philosophes s’est aussi laissé gagner par la terreur et a terminé son sublime ouvrage De la Nature de l’homme[1] par des visions si étranges, si superstitieuses, si folles, qu’on en est presque aussi indigné que surpris ?

Sentir, c’est penser, ou l’on ne pense pas, si l’on n’a senti… Sont-ce deux propositions si diverses que la première étant trouvée, l’on puisse regarder l’autre comme une découverte bien merveilleuse ?

Si, partant du seul phénomène de la sensibilité physique, propriété générale de la matière ou résultat de l’organisation, il en eût déduit avec clarté toutes les opérations de l’entendement, il eût fait une chose neuve, difficile et belle.

J’estimerai davantage encore celui qui, par l’expérience ou l’observation, démontrera rigoureusement ou que la sensibilité physique appartient aussi essentiellement à la matière que l’impénétrabilité, ou qui la déduira sans réplique de l’organisation.

J’invite tous les physiciens et tous les chimistes à rechercher ce que c’est que la substance animale, sensible et vivante.

Je vois clairement dans le développement de l’œuf et quelques autres opérations de la nature, la matière inerte en apparence, mais organisée, passer par des agents purement physiques, de l’état d’inertie à l’état de sensibilité et de vie, mais la liaison nécessaire de ce passage m’échappe.

  1. Ce livre, De la Nature humaine, venait d’être traduit en français par le baron d’Holbach ; Londres (Amsterdam), 1772, petit in-8o. Diderot s’attaque ici au chapitre xi.