Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/340

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On ne saurait accroître à discrétion ni le plaisir ni la douleur le plaisir extrême se transforme en douleur : l’extrême douleur amène le transport, le délire, l’insensibilité et la mort.

Ibid. — Les seules affections dont l’influence sur les esprits soit sensible, sont les affections dépendantes de l’éducation et des préjugés.

Je ne crois pas qu’il soit possible de rien dire de plus absurde.

Quoi donc ! est-ce l’éducation et le préjugé seuls qui rendent en général les femmes craintives et pusillanimes ou la conscience de leur faiblesse, conscience qui leur est commune avec tous les animaux délicats, conscience qui met l’un en fuite au moindre bruit, et arrête l’autre fièrement à l’aspect du péril et de l’ennemi.

Toutes ces pages n’en peuvent imposer qu’à un esprit superficiel, qu’une antithèse ingénieuse séduit.

Page 151. — N’ai-je présent à mon souvenir que les neiges, les glaçons, les tempêtes du nord ; que les laves enflammées du Vésuve ou de l’Etna ; avec ces matériaux quel tableau composer ? Celui des montagnes qui défendent l’entrée du jardin d’Armide… Le genre de nos idées et de nos tableaux ne dépend donc point de la nature de notre esprit, le même dans tous les hommes, mais de l’espèce d’objets que le hasard grave dans leur mémoire et de l’intérêt qu’ils ont de les combiner.

Et cela dépend de cette cause unique ! Mais entre dix mille hommes qui auront entendu le mugissement du Vésuve, qui auront senti trembler la terre sous leurs pas, et qui se seront sauvés devant le flot de la lave enflammée qui s’échappait des flancs entr’ouverts de la montagne ; entre dix mille que les images riantes du printemps auront touchés, un seul à peine en saura faire une sublime description, parce que le sublime, soit en peinture, soit en poésie, soit en éloquence, ne naît pas toujours de l’exacte description des phénomènes, mais de l’émotion que le génie spectateur en aura éprouvée, de l’art avec lequel il me communiquera le frémissement de son âme, des comparaisons dont il se servira, du choix de ses expressions, de l’harmonie dont il frappera mon oreille, des idées et des sentiments qu’il saura réveiller en moi. Il y a peut-être un assez grand nombre d’hommes capables de peindre un objet en naturaliste, en historien, mais en poëte, c’est autre chose. En un mot, je voudrais bien