Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/348

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tion et de joie, où mes larmes coulent, l’un me dit : « Je ne sens pas cela, j’ai le cœur velu… ; » l’autre me fait une plaisanterie très-burlesque. La tête fait les hommes sages : le diaphragme les hommes compatissants et moraux. Vous n’avez rien dit de ces deux organes, mais rien du tout, et vous vous imaginez avoir fait le tour de l’homme. Celui qui a le diaphragme très-mobile cherche les scènes tragiques ou les fuit, parce qu’il peut arriver qu’il en soit trop vivement affecté et qu’il reste, après le spectacle, ce que nous appelons le cœur serré. Celui qui a cet organe inflexible, raide et obtus ne les cherche ni ne les évite, elles ne lui font rien. Vous pouvez faire de cet homme ou un lieutenant criminel ou un bourreau, ou un boucher, ou un chirurgien, ou un médecin.

Comment, vous n’entendez rien aux deux grands ressorts de la machine, l’un qui constitue les hommes spirituels ou stupides, l’autre qui les sépare en deux classes, celle des âmes tendres et celle des cœurs durs, et vous écrivez un traité de l’homme !

Je me souviens de vous avoir demandé comment on donnait de l’activité à une tête lourde ; je vous demande à présent comment on inspire de la sensibilité à un cœur dur.

Mais rien ne vous arrête ; vous me soutiendrez qu’avec ces deux qualités diverses, les hommes n’en étant pas moins communément bien organisés, ils n’en sont pas moins bien disposés à toutes sortes de fonctions.

Quoi ! monsieur Helvétius, il n’y aura nulle différence entre les compositions de celui qui a reçu de la nature une imagination forte et vive avec un diaphragme très-mobile, et de celui qu’elle a privé de ces deux qualités ?

Vous qui donnez tant de force à l’impulsion d’un sexe vers l’autre, songez donc que l’homme vigoureux, mais insensible, ne sera entraîné par sa passion vers la femme que comme le taureau vers la génisse ; c’est la bête féroce de Lucrèce qui, les flancs traversés d’une flèche mortelle, se précipite sur le chasseur et le couvre de son sang. Il ne fera guère d’élégies ou de madrigaux ; il veut jouir, il se soucie peu de toucher et de plaire. Un fluide brûlant, abondant et acre irrite les organes du plaisir ; il ne soupire pas, celui-là, il rugit ; il ne tourne pas ses regards tendres et languissants, ses paupières humides sur l’objet de sa passion, ses yeux sont étincelants et son regard