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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/426

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Si la femme du peuple veut acheter une robe, elle ne la demandera pas légère et voyante, parce qu’elle aura de quoi la payer durable, solide et bien manufacturée.

Si la fantaisie lui prend de se faire peindre, elle n’appellera point un barbouilleur.

Si elle veut une montre, il ne lui suffira pas que le bouton aplati la simule à répétition.

Il y aura peu de crimes, mais beaucoup de vices, mais de ces vices qui font le bonheur dans ce monde-ci et dont on n’est châtié que dans l’autre.

Je pense donc qu’un souverain n’aurait rien de mieux à faire que de travailler de toute sa force à la damnation de ses sujets.

Tout cela n’est que croqué, mais je fais une note et non pas un Traité.


CHAPITRE VI.


DE LA FORMATION DES PEUPLADES.


Page 90. — Quelques familles ont passé dans une île. Je veux que le sol en soit bon, mais inculte et désert. Quel est, au moment du débarquement, le premier soin de ces familles ? Celui de construire des huttes, de défricher l’étendue du terrain nécessaire à leur subsistance. Dans ce premier moment quelles sont les richesses de l’île ? Les récoltes et le travail qui les produit…

Voilà des suppositions dont j’ai peine à me contenter. Au premier moment il n’y aura point de richesse, chacun cultivera pour le besoin actuel, et le paresseux risquera de mourir de faim ; car, manquant de tout, que pourrait-il donner en échange des denrées qu’il n’aura pas recueillies ? Et celui dont les bras auront été les plus actifs et les plus forts que fera-t-il du superflu de sa récolte ? Mais ne chicanons point, et passons.

Page 91. — Il n’est qu’un moyen de soustraire un empire au despotisme de l’armée, c’est que ses habitants soient comme à Sparte citoyens et soldats.

Partout où tout citoyen est soldat il ne faut point d’armée. Une armée subsistante, quel qu’en soit le chef, menace la liberté des autres citoyens. Quand la présence de l’ennemi ne l’exige pas, il faut que tous les habitants soient armés ou désarmés ; ceux qui sont en corps ont trop d’avantage sur ceux qui sont isolés.