Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/456

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On persécute la vérité, mais on ne la méprise pas ; on la craint.

Que peut-elle alors en faveur de l’humanité ? Tout avec le temps. Je ne sais comment cela se fait ; mais elle finit et finira éternellement par être la plus forte. Hommes rares à qui la nature a départi du génie et du courage, votre lot est assuré : une longue mémoire, des bénédictions qui ne finiront jamais. Hommes envieux, hommes ignorants, hommes hypocrites, hommes féroces, hommes lâches, le vôtre l’est aussi : l’exécration des siècles vous attend, et vos noms ou seront oubliés ou ne seront jamais prononcés sans les épithètes que je vous donne ici.


CHAPITRE XXI.


Page 326. — L’intérêt du puissant commande plus impérieusement que la vérité aux opinions générales.

Je n’en crois rien ; mes amis, n’en croyez rien. Si vous le croyiez, vous seriez des insensés de sacrifier votre repos, votre santé, votre vie à une recherche infructueuse.

L’intérêt du puissant passe, l’empire de la vérité dure à jamais : il faut que les mers soulevées couvrent la surface du globe ; il faut qu’elle soit dévorée par quelque déflagration générale ; il faut qu’elle reste, cette vérité, ou que tout périsse avec elle.

Helvétius n’a raison qu’un instant, il aura tort dans la suite des siècles pour lesquels vous travaillez.

Il paraîtra, il paraîtra un jour, parce que le temps amène tout ce qui est possible, et il est possible, l’homme juste, éclairé et puissant que vous attendez.

Ces vérités enterrées dans les ouvrages des Gordon, des Sydney, des Machiavel, elles en sortent de tous côtés, et il n’y a qu’un moment qu’ils écrivaient.

Assurément elles seront employées par l’homme puissant dans les positions et les circonstances où les intérêts de sa gloire le forceront d’en faire usage ; mais pourquoi l’impulsion de la bonté, de la justice, de l’humanité, fruits d’une heureuse nature ou d’une bonne institution, ne précéderait-elle, ne concourrait-elle, ne suivrait-elle pas la loi de la nécessité ? Pourquoi décourager les nations, pourquoi désoler les philosophes en restreignant le nombre des causes de bonheur ?

Ibid. — C’est à la longue le puissant qui régit l’opinion.