Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/457

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Cela est-il bien vrai ? Un puissant se conduira comme si les droits de la propriété n’étaient rien, mais nous le fera-t-il jamais croire ? Celui qui dira au lion : Seigneur, en les dévorant vous leur faites beaucoup d’honneur[1], sera aussi scélérat, mais ne sera pas plus crédule que le renard de la fable. Le distributeur des honneurs, des richesses, des châtiments s’attache les personnes, obtient des applaudissements, mais il n’asservit pas même les âmes qu’il a corrompues. Si vous croyez que l’on s’honore du titre d’esclave, que l’on méprise sincèrement l’état d’homme libre, vous vous en rapportez aux grimaces d’un malheureux dont un mot romprait le fil qui tient le glaive suspendu sur sa tête.

Je ne connais rien de plus contradictoire à vos principes que tout ce que vous avancez ici. Est-ce que l’esclave en faveur n’est pas sans cesse dans les transes du péril ? Est-ce que l’esclave opprimé n’est pas toujours souffrant ? Comment se peut-il faire que l’homme qui craint et l’homme qui souffre aient un vrai mépris pour l’homme qui ne craint ni ne souffre ? Vous avez pris l’inaction, le silence ou l’hypocrisie pour la véritable expression du sentiment, qui las, tôt ou tard, de sa contrainte, s’échappe par un coup de poignard qui fait ruisseler le sang noir du tyran.

Si le monstre pouvait commander à l’opinion, il serait en sûreté. Et que prouvent les opinions religieuses que vous m’objectez ? Il s’agit de l’homme, et vous me parlez de Dieu, d’un être fantastique, maître du juste et de l’injuste, dont j’adore les jugements et que je remercie des coups de fouet dont il me déchire, parce qu’ils sont le gage de sa commisération pour moi et presque l’assurance d’une félicité éternelle.

Le tyran est un homme que je hais au fond de mon cœur ; Dieu est un tyran auprès duquel je me fais un mérite de ma patience, et je me résigne.

Page 327. — Sans la force, que peut le bon sens ?

Tout avec le temps. Une erreur tombe et fait place à une erreur qui tombe encore ; mais une vérité qui naît et une vérité qui lui succède sont deux vérités qui restent.

  1. … Vous leur fîtes, seigneur,
    En les croquant beaucoup d’honneur.

    La Fontaine, fables, livre VII, Fable i : Les Animaux malades de la peste.