Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/526

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comme si rien n’était plus d’usage que de s’appeler chrétien, et de ne l’être pas ; qu’il ne fallait pas se vêtir ridiculement, comme s’il y avait quelque comparaison à faire entre un misérable petit ridicule, sa damnation éternelle et celle de son prochain ; qu’elle se laissait habiller par sa couturière, comme s’il ne valait pas mieux changer de couturière, que renoncer à sa religion ; que c’était la fantaisie de son mari, comme si un époux était assez insensé pour exiger de sa femme l’oubli de la décence et de ses devoirs, et qu’une véritable chrétienne dût pousser l’obéissance pour un époux extravagant, jusqu’au sacrifice de la volonté de son Dieu et au mépris des menaces de son rédempteur !

LA MARÉCHALE.

Je savais d’avance toutes ces puérilités-là ; je vous les aurais peut-être dites comme votre voisine : mais elle et moi nous aurions été toutes deux de mauvaise foi. Mais quel parti prit-elle d’après votre remontrance ?

CRUDELI.

Le lendemain de cette conversation (c’était un jour de fête) je remontais chez moi, et ma dévote et belle voisine descendait de chez elle pour aller à la messe.

LA MARÉCHALE.

Vêtue comme de coutume ?

CRUDELI.

Vêtue comme de coutume. Je souris, elle sourit ; et nous passâmes l’un à côté de l’autre sans nous parler. Madame la maréchale, une honnête femme ! une chrétienne ! une dévote ! Après cet exemple, et cent mille autres de la même espèce, quelle influence réelle puis-je accorder à la religion sur les mœurs ? Presque aucune, et tant mieux.

LA MARÉCHALE.

Comment, tant mieux ?

CRUDELI.

Oui, madame : s’il prenait en fantaisie à vingt mille habitants de Paris de conformer strictement leur conduite au sermon sur la montagne…

LA MARÉCHALE.

Eh bien ! il y aurait quelques belles gorges plus couvertes.