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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/529

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LA MARÉCHALE.

Je vous en estime davantage.

CRUDELI.

Je permets à chacun de penser à sa manière, pourvu qu’on me laisse penser à la mienne : et puis, ceux qui sont faits pour se délivrer de ces préjugés n’ont guère besoin qu’on les catéchise.

LA MARÉCHALE.

Croyez-vous que l’homme puisse se passer de superstition ?

CRUDELI.

Non, tant qu’il restera ignorant et peureux.

LA MARÉCHALE.

Eh bien ! superstition pour superstition, autant la nôtre qu’une autre.

CRUDELI.

Je ne le pense pas.

LA MARÉCHALE.

Parlez-moi vrai, ne vous répugne-t-il point de n’être plus rien après votre mort ?

CRUDELI.

J’aimerais mieux exister, bien que je ne sache pas pourquoi un être, qui a pu me rendre malheureux sans raison, ne s’en amuserait pas deux fois.

LA MARÉCHALE.

Si, malgré cet inconvénient, l’espoir d’une vie à venir vous paraît consolant et doux, pourquoi nous l’arracher ?

CRUDELI.

Je n’ai pas cet espoir, parce que le désir ne m’en a point dérobé[1] la vanité ; mais je ne l’ôte à personne. Si l’on peut croire qu’on verra, quand on n’aura plus d’yeux ; qu’on entendra, quand on n’aura plus d’oreilles ; qu’on pensera, quand on n’aura plus de tête ; qu’on aimera, quand on n’aura plus de cœur ; qu’on sentira, quand on n’aura plus de sens ; qu’on existera, quand on ne sera nulle part ; qu’on sera quelque chose, sans étendue et sans lieu, j’y consens.

  1. Nous rétablissons dérobé au lieu de donné. Il est certain pour nous que c’est la version de Métra qui est la bonne. Vanité ne veut pas dire ici orgueil, mais manque de solidité.