Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/75

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unes sur les autres ; c’est que, dans cet univers, tout est en translation ou in nisu, ou en translation et in nisu à la fois.

Cette supposition des philosophes ressemble peut-être à celle des géomètres, qui admettent des points sans aucune dimension ; des lignes, sans largeur ni profondeur ; des surfaces, sans épaisseur ; ou peut-être parlent-ils du repos relatif d’une masse à une autre. Tout est dans un repos relatif en un vaisseau battu par la tempête. Rien n’y est en un repos absolu, pas même les molécules agrégatives, ni du vaisseau, ni des corps qu’il renferme.

S’ils ne conçoivent pas plus de tendance au repos qu’au mouvement, dans un corps quelconque, c’est qu’apparemment ils regardent la matière comme homogène ; c’est qu’ils font abstraction de toutes les qualités qui lui sont essentielles ; c’est qu’ils la considèrent comme inaltérable dans l’instant presque indivisible de leur spéculation ; c’est qu’ils raisonnent du repos relatif d’un agrégat à un autre agrégat ; c’est qu’ils oublient que, tandis qu’ils raisonnent de l’indifférence du corps au mouvement ou au repos, le bloc de marbre tend à sa dissolution ; c’est qu’ils anéantissent par la pensée, et le mouvement général qui anime tous les corps, et leur action particulière des uns sur les autres qui les détruit tous ; c’est que cette indifférence, quoique fausse en elle-même, mais momentanée, ne rendra pas les lois du mouvement erronées.

Le corps, selon quelques philosophes, est, pur lui-même, sans action et sans force ; c’est une terrible fausseté, bien contraire à toute bonne physique, à toute bonne chimie : par lui-même, par la nature de ses qualités essentielles, soit qu’on le considère en molécules, soit qu’on le considère en masse, il est plein d’action et de force.

Pour vous représenter le mouvement, ajoutent-ils, outre la matière existante, il vous faut imaginer une force qui agisse sur elle. Ce n’est pas cela : la molécule, douée d’une qualité propre à sa nature, par elle-même est une force active. Elle s’exerce sur une autre molécule qui s’exerce sur elle. Tous ces paralogismes-là tiennent à la fausse supposition de la matière homogène. Vous qui imaginez si bien la matière en repos, pouvez-