Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, III.djvu/427

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envoie d’abord les enfants à l’école à lire. Les unes de ces écoles sont pour les garçons, les autres pour les filles. Quand un enfant sait parfaitement lire, on l’envoie à l’école à écrire et à compter. On n’y apprend que les règles de l’arithmétique ; mais suffisamment pour qu’un enfant, au sortir de ces écoles, sache tous les calculs nécessaires dans le courant de la vie, et soit même en état d’apprendre les calculs plus compliqués des marchands et négociants. Ces basses écoles sont pour le peuple en général, parce que, depuis le premier ministre jusqu’au dernier paysan, il est bon que chacun sache lire, écrire et compter. Aussi, dans les pays protestants, il n’y a point de village, quelque chétif qu’il soit, qui n’ait son maître d’école ; et point de villageois, de quelque classe qu’il soit, qui ne sache lire, écrire et un peu compter. J’ai quelquefois ouï dire en Allemagne que cela avait ses inconvénients. La noblesse dit que cela rend le paysan chicaneur et processif. Les lettrés disent que cela est cause que tout cultivateur un peu à son aise, au lieu de laisser à son fils sa charrue, veut en faire un savant, un théologien, ou tout au moins un maître d’école. Je ne m’arrête pas beaucoup au grief de la noblesse ; peut-être se réduit-il à dire qu’un paysan qui sait lire et écrire est plus malaisé à opprimer qu’un autre. Quant au second grief, c’est au législateur à faire en sorte que la profession de cultivateur soit assez tranquille et estimée pour n’être pas abandonnée. Les hommes sont en général des animaux d’habitude, qui ne changent d’allure que lorsqu’ils sont vexés dans celle qu’ils avaient coutume de tenir. Or, dans un pays bien gouverné, aucune profession ne doit être exposée à des vexations. Du reste, chaque ordre de choses a ses inconvénients ; et c’est l’étude de l’homme d’État de retrancher les inconvénients en conservant les avantages.

    système d’enseignement en Allemagne ne doit pas trop étonner. Par Grimm, par le prince Henri de Prusse, par les Nassau-Saarbruck, par les visites assez fréquentes de jeunes Allemands qu’il signale dans sa correspondance, et même par sa traversée de l’Allemagne pour se rendre en Russie, Diderot pouvait connaître assez bien un pays qu’il n’avait pas habité, il est vrai, mais que ceux qui y avaient séjourné assez longtemps, comme Voltaire, ne paraissent pas avoir apprécié comme lui. On voit, du reste, par son Voyage en Hollande, que, s’il n’était pas ami du déplacement, lorsqu’il se déplaçait, il mettait son temps à profit pour se rendre compte, non des particularités pittoresques, mais des choses utiles : mœurs, coutumes, produits, revenus, industrie, établissements publics, etc.