Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/105

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

écrit partout ; mais il est à propos de le répéter jusqu’à ce qu’on ait opéré une conversion générale. Il y a un grand mot à dire et une triste vérité sur le génie ; c’est que l’homme à qui la nature l’a départi, et la femme qu’elle a douée de la beauté, sont deux êtres condamnés au malheur ; la femme par la séduction, le génie par l’ignorance et l’envie.

Quand on s’avise d’accuser la nation française de légèreté, il ne faut pas la louer de sa sociabilité, parce que le défaut qu’on blâme est l’effet de la qualité qu’on loue. Il faut que tout s’use en un moment chez un peuple où le même homme promène dans un jour une chose nouvelle dans cent endroits divers. Brisez les portes des sérails : mêlez à Constantinople les hommes avec les femmes ; tâchez de communiquer à ces engourdis et stupides Musulmans le même mouvement rapide qui emporte nos Français ; devenus aussi sociables, bientôt ils seront aussi légers. Un seul de nos turbulents compatriotes foisonne plus que mille Musulmans.

Oh ! combien de choses vraies, touchantes et douces, il y avait à dire sur le penchant de l’homme vers la femme ; la femme, l’être de la nature le plus semblable à l’homme, la seule digne compagne de sa vie, la source de ses pensées les plus délicieuses et de sa sensation la plus exquise et la plus vive, la mère de ses enfants ; celle qui sait quand il lui plaît élever ou calmer les vagues de son cœur ; l’unique individu sous le ciel qui sente ses caresses, et dont l’âme réponde pleinement à la sienne ; celle qui vient dans ses embrassements réunir la grâce et la force que la nature a séparées ! Celui qui n’aime pas la femme est une espèce de monstre ; celui qui ne la cherche que quand il en est averti par le besoin, sort de son espèce et se range à côté de la brute.

Si l’on parle du goût, il faut distinguer le goût de la nation, qui est toujours le produit des siècles, et le goût d’un particulier, qui est toujours le résultat d’une suite d’observations fines qu’on a quelquefois oubliées. La mémoire des observations passe, mais leur impression reste et dirige le jugement qu’on appelle tact. Rien n’est plus rare que le tact exquis en musique. Plus l’expression d’un art est vague, plus il est difficile de la saisir. La parole grave en moi l’image ou l’idée, le pinceau la tient sous mes yeux, le son l’indique et s’éteint.