Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/122

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que tous les êtres les plus chers à ton cœur. Ne souffre point que cette mère commune de toi et de tes concitoyens tombe dans les fers de la tyrannie, parce que pour lors elle ne serait plus qu’une prison pour toi. Si ton injuste patrie te refuse le bonheur ; si, soumise au pouvoir injuste, elle souffre qu’on t’opprime, éloigne-toi d’elle en silence ; ne la trouble jamais.

« En un mot, sois homme ; sois un être sensible et raisonnable ; sois époux fidèle, père tendre, maître équitable, citoyen zélé ; travaille à servir ton pays par tes forces, tes talents, ton industrie, tes vertus. Fais part à tes associés des dons que la nature t’a faits ; répands le bien-être, le contentement et la joie sur tous ceux qui t’approchent : que la sphère de tes actions, rendue vivante par tes bienfaits, réagisse sur toi-même ; sois sûr que l’homme qui fait des heureux ne peut être lui-même malheureux. En te conduisant ainsi, quels que soient l’injustice et l’aveuglement des êtres avec qui ton sort te fait vivre, tu ne seras jamais totalement privé des récompenses qui te seront dues ; nulle force sur la terre ne pourra du moins te ravir le contentement intérieur, cette source la plus pure de toute félicité ; tu rentreras à chaque instant avec plaisir en toi-même : tu ne trouveras au fond de ton cœur ni honte, ni terreurs, ni remords ; tu t’aimeras ; tu seras grand à tes yeux ; tu seras chéri, tu seras estimé de toutes les âmes honnêtes, dont le suffrage vaut bien mieux que celui de la multitude égarée. Cependant, si tu portes tes regards au dehors, des visages contents t’exprimeront la tendresse, l’intérêt, le sentiment. Une vie dont chaque instant sera marqué par la paix de ton âme et l’affection des êtres qui t’environnent te conduira paisiblement au terme de tes jours ; car il faut que tu meures ; mais tu te survis déjà par la pensée ; tu vivras toujours dans l’esprit de tes amis et des êtres que tes mains ont rendus fortunés ; tes vertus y ont d’avance érigé des monuments durables. Si le ciel s’occupait de toi, il serait content de ta conduite, quand la terre en est contente.

« Garde-toi donc de te plaindre de ton sort. Sois juste, sois bon, sois vertueux, et jamais tu ne peux être dépourvu de plaisir. Garde-toi d’envier la félicité trompeuse et passagère du crime puissant, de la tyrannie victorieuse, de l’imposture intéressée, de l’équité vénale, de l’opulence endurcie. Ne sois jamais tenté de grossir la cour ou le troupeau servile des esclaves de