Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/127

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superstitieux, d’avoir chassé de son cœur le fiel qui aigrit le zélé, d’avoir mis sous ses pieds les chimères dont le vulgaire est tourmenté. Ainsi échappé de la tempête, du haut de son rocher, il contemplera les orages que les dieux excitent sur la terre, il présentera une main secourable à ceux qui voudront l’accepter. Il les encouragera de la voix, il les secondera de ses vœux, et, dans la chaleur de son âme attendrie, il s’écriera :

Ô nature ! souveraine de tous les êtres ! et vous ses filles adorables, vertu, raison, vérité ! soyez à jamais nos seules divinités ; c’est à vous que sont dus l’encens et les hommages de la terre. Montre-nous donc, ô nature ! ce que l’homme doit faire pour obtenir le bonheur que tu lui fais désirer. Vertu ! réchauffe-le de ton feu bienfaisant. Raison ! conduis ses pas incertains dans les routes de la vie. Vérité ! que ton flambeau l’éclaire. Réunissez, ô déités secourables, votre pouvoir pour soumettre les cœurs. Bannissez de nos esprits l’erreur, la méchanceté, le trouble ; faites régner en leur place la science, la bonté, la sérénité. Que l’imposture confondue n’ose jamais se montrer. Fixez enfin nos yeux, si longtemps éblouis ou aveuglés, sur les objets que nous devons chercher. Écartez pour toujours et ces fantômes hideux et ces chimères séduisantes qui ne servent qu’à nous égarer. Tirez-nous des abîmes où la superstition nous plonge, renversez le fatal empire du prestige et du mensonge, arrachez-leur le pouvoir qu’ils ont usurpé sur vous. Commandez sans partage aux mortels, rompez les chaînes qui les accablent, déchirez le voile qui les couvre, apaisez les fureurs qui les enivrent, brisez dans les mains sanglantes de la tyrannie le sceptre dont elle les écrase, reléguez ces dieux qui les affligent dans les régions imaginaires d’où la crainte les a fait sortir. Inspirez du courage à l’être intelligent, donnez-lui de l’énergie ; qu’il ose enfin s’aimer, s’estimer, sentir sa dignité ; qu’il ose s’affranchir, qu’il soit heureux et libre, qu’il ne soit jamais l’esclave que de vos lois ; qu’il perfectionne son sort ; qu’il chérisse ses semblables ; qu’il jouisse lui-même ; qu’il fasse jouir les autres. Consolez l’enfant de la nature des maux que le destin le force de subir par les plaisirs que la sagesse lui permet de goûter ; qu’il apprenne à se soumettre à la nécessité ; conduisez-le sans alarmes au terme de tous les êtres ; apprenez-lui qu’il n’est fait ni pour l’éviter ni pour le craindre.